Essai: un Godin bien vivant
J’ai connu personnellement Gérald Godin au lendemain du fameux Lundi de la matraque (24 juin 1968). Journaliste, Gérald Godin dirigeait alors les éditions Parti pris, une création de la revue du même nom lancée en octobre 1963, alors que les premières bombes du Front de libération du Québec (FLQ) venaient d’exploser quelques mois plus tôt.
J’avais fait la connaissance de Paul Rose dans des circonstances mémorables en cette célébration de la Saint-Jean-Baptiste : à moitié conscient, la tête en sang, j’avais atterri dans les bras de Paul après que des policiers m’eurent lancé dans le « panier à salade ». Lui et moi étions à préparer un recueil de témoignages des matraqués du 24 juin et le choix des éditions Parti pris s’était imposé tout naturellement pour les publier.
Gérald Godin habitait avec la chanteuse Pauline Julien, la diva que tous les gars de ma génération admiraient. Leur appartement de la rue Selkirk, au pied de la Côte-des-Neiges, près de la rue Sherbrooke Ouest, un quartier que je ne connaissais pas, servait aussi de bureau pour la maison d’édition Parti pris, où le poète Gilbert Langevin faisait office de secrétaire d’édition. C’est lui, Langevin, qui m’a enseigné les premiers rudiments d’édition et c’est à ses côtés que j’ai corrigé les premières galées de notre livre, tandis que Pauline (vous m’excuserez la familiarité, mais elle se justifie) vaquait à ses occupations, montant et descendant les escaliers encombrés de piles de livres.
J’ai revu Gérald (excusez la familiarité, mais, encore, elle se justifie) un an ou deux plus tard, alors qu’il dirigeait l’hebdomadaire Québec-Presse, journal né en 1969 et financé par les syndicats progressistes. J’étais, avec d’autres militants, à organiser un premier syndicat dans le milieu du taxi et le sachant près du petit monde des damnés de la terre, j’allais à l’occasion le consulter sur l’opportunité de telle ou telle action tout en lui faisant part de nos projets. Livernois se demande à juste titre, dans sa biographie, si Gérald était membre du FLQ. Il n’y avait aucune carte de membre, il y avait les sympathisants et il y avait ceux qui étaient prêts à passer à l’action. Gérald se situait dans le premier groupe, comme des milliers d’autres.
En exil à Cuba ou en France, j’ai entretenu, pendant un certain temps, une correspondance avec Gérald et Pauline, surtout lorsque Gérald deviendra député puis ministre, en 1976. Je ne me souviens plus si cette correspondance se trouve dans mes archives personnelles déposées à la Bibliothèque nationale du Québec.
En France, j’assistais aux spectacles de Pauline, chaque fois qu’elle y venait. Il nous arrivait même d’aller casser la croûte après son spectacle, avec sa « garde rapprochée ». À mon retour au Québec, j’ai continué de les fréquenter épisodiquement.
Éditeur, un métier que j’ai appris aux côtés de mon maître Victor-Lévy Beaulieu, j’ai publié trois ouvrages de Pauline. L’un sur son voyage au Népal. L’autre est un recueil de ses chansons, qu’un jeune professeur de cégep avait colligées et présentées. Puis un récit autobiographique. Il fut un temps où l’on se voyait beaucoup, un vers emprunté à son compagnon de vie, Gérald Godin, qui porte sur ses souvenirs, avant qu’il ne soit trop tard, avant que la terrible maladie, l’aphasie, ne l’assaille. Ce dernier ouvrage fourmille d’anecdotes sur sa vie avec Gérald, l’auteur des Cantouques. À cette époque, je voyais Pauline assidûment, pour des raisons professionnelles et aussi par amitié. L’idée qu’elle avait décidé de mettre fin à ses jours, lorsque la maladie lui rendrait la vie impossible, me bouleversait. J’ai aussi publié, à la même époque, un ouvrage posthume de Gérald, piloté par le professeur André Gervais, Tendres et emportés.
Biographie lumineuse
Je m’excuse d’avoir pris tout cet espace pour non pas parler du livre de Jonathan Livernois, mais plutôt de mes rapports avec Gérald et Pauline, que la biographie de Livernois est venue rappeler à ma mémoire… avant qu’il ne soit trop tard. Vous comprendrez que Pauline et Gérald étaient mes idoles. Dans sa biographie lumineuse, Livernois honore à juste titre le poète, l’amoureux, le député gouailleur et près de ses électeurs que fut Godin. Vous aurez peut-être, vous aussi, les larmes aux yeux en refermant ce livre.
Jacques Lanctôt, Le Journal de Montréal, 8 octobre 2023.
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