En attendant un autre Godin
Bon, je sais, la formule est éculée. L’originale, c’est En attendant Godot, de Samuel Beckett, la pièce de théâtre de ma vie, celle qui m’a le plus ému.
Autrement, je viens de lire un excellent livre : Godin, de Jonathan Livernois. Fouillé, non complaisant, avec un rendu captivant, sur un humain qui n’est pas un géant, mais un être important, singulier, attachant, et amant de Pauline Julien, une femme bouleversante.
Gérald Godin est le politicien dans l’histoire du mouvement souverainiste québécois qui a le plus connecté avec les communautés culturelles du Québec. Bien appuyé par un René Lévesque sensible à cet égard.
Si un lien ténu existait encore avec ces communautés, Jacques Parizeau l’a brisé le soir du référendum de 1995. Tellement triste, pour un homme si admirable. Il n’y a que le gouvernement de François Legault qui ait réussi à faire pire avec son intolérance affichée aux dernières élections. Un exploit.
Godin, lui, le poète provincial, les aimait sincèrement, surtout dans sa circonscription de Mercier, en plein cœur du Montréal multiculturel, pourtant à une planète de distance de son Trois-Rivières natal.
Bien sûr, il y avait le politicien, le député, mais on sentait qu’il exprimait quelque chose de viscéral, de généreux, dans cette posture.
C’est la différence entre les créateurs et les communs des mortels que nous sommes : cet instinct, cette sensibilité, qui les font compatir, deviner, voir plus loin que notre nez collectif.
L’auteur a choisi la députée de Québec solidaire Ruba Ghazal comme rejeton politique du poète. C’est mérité.
Il sera toutefois difficile pour elle de devenir le cerbère souverainiste dans tout le Québec, et de défendre les nouveaux arrivants quand ça va « roter du vieux sur » électoral sur l’immigration, pour paraphraser un ancien président de la FTQ.
Je pourrais moi aussi être tenté de m’insurger contre les tenanciers de l’auberge espagnole canadienne, qui ont déclenché une ruée d’immigration peut-être sans précédent au pays.
Mais le rationnel sur ce thème n’est plus possible entre nos frontières québécoises. Un univers politique où la vérité est filtrée, où le mensonge prend la forme d’omissions.
Plus personne n’est fiable politiquement sur le sujet, et on ne comprend plus rien quant aux besoins réels.
Au Québec, notre gouvernement se gonfle de patriotisme contre l’immigration et s’offusque, mais pendant ce temps-là ça entre à pleines portes, même si on ne tient pas compte des demandeurs d’asile.
On est d’accord au sujet du trop-plein qui passe par nos frontières en se disant demandeur d’asile, mais pour le reste, ne venez pas me répéter votre discours ridé sur la responsabilité seule du fédéral.
Il doit bien y avoir un besoin, parce que les immigrants travaillent à plein, et c’est visible partout. Et on se dit : heureusement qu’ils sont là, autrement on serait superbement dans la merde.
Mais des gens que je respecte disent qu’ils généreraient autant de besoins qu’ils produisent de valeur ajoutée dans notre économie, d’où un jeu à somme nulle. Je ne la sens pas, celle-là…
Ainsi, avant toute considération culturelle, on veut des chiffres, la vérité.
Ça me semble plutôt binaire : nombre d’emplois à pourvoir dans les prochaines années, comparé au nombre de travailleurs québécois potentiellement disponibles. S’il en manque, on les prend où ? Si on a suffisamment de monde, pourquoi tant d’immigration ?
Et ne vous cachez pas derrière l’immigration temporaire. Celle-là, on l’a pognée. Le temporaire deviendra permanent, c’est évident et c’est bien ainsi.
Comme il est absolument petit de mettre, subtilement et pernicieusement, le manque de logements sur le dos des immigrants. C’est créateur de métastases xénophobes, parce qu’ils n’en sont pas la cause, ils souffrent eux aussi des conséquences de la crise du logement.
Cela aussi me semble assez math 501 : nombre de personnes qui auront besoin d’un toit dans l’avenir, comparé au nombre de logements offerts. Nous ne sommes pas ici dans l’art divinatoire, c’est statistique, ça se calcule.
Sauf qu’il fallait prévoir et agir il y a un bout, au lieu de nier. Et comprendre que ce ne sont pas les lois strictes du marché qui peuvent faire tout le travail.
On aurait besoin de réponses, de chiffres qui feraient consensus, qui ne viennent pas de politiciens, parce que trop d’entre eux ajoutent à l’insécurité des humains nouvellement arrivés chez nous, et à leurs enfants. Et ça, ça ne se fait pas, c’est méprisable !
On n’hésite pas pour rien à prendre position dans ce débat sur l’immigration. Parce que regardez bien ça aller aux prochaines élections au Québec, où, pour gagner, la CAQ et le PQ s’arracheront les circonscriptions francophones en région.
Pour y arriver, ils se taperont de l’immigrant et participeront à un nouveau concours : « Mon seuil d’immigration est plus bas que le tien ! »
Et le PLQ fera exactement l’inverse, en déclenchant la paranoïa à Montréal et aux alentours.
Ça sent mauvais, on entendra des malpropres des deux côtés.
Une campagne, au mieux, xénophobe, au pire, raciste.
Régis Labeaume, La Presse, 22 janvier 2024.
Photo: Gérald Godin au défilé de la fête nationale, à Montréal, en 1979. ARMAND TROTTIER, ARCHIVES LA PRESSE
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