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Photo de l'Assemblé nationale lors de la période des questions.
25 novembre 2023

Éloge de la plante verte

« Pis, vas-tu te présenter en politique un jour ? »

 

C’est une question, ami lecteur, que je me fais souvent poser en tant que personnalité publique ayant un point de vue sur les enjeux publics. Après tout, j’ai plusieurs collègues journalistes qui ont fait le saut en politique, de Bernard Drainville à Pierre Duchesne en passant par Mathieu Lacombe et Martine Biron.

Ma réponse est toujours la même : « Jamais. »

J’ai eu des offres, bien sûr. Je ne leur laisse même pas le temps de finir leur phrase, c’est toujours « Non » avant même qu’ils ne se rendent au point d’interrogation.

J’ai peu de talents dans la vie si on exclut un talent pour de pas pires questions, du bouillon de poulet et des chutes de chronique qui se défendent. Je n’ai surtout pas le pouce vert.

À l’orée de mon salon, il y a une plante qui me regarde tristement, elle est en fin de vie. Par ma très grande faute. Je ne l’ai pas arrosée depuis l’été. À un moment donné, je l’ai remarquée, entre le salon et la cuisine, affalée et jaunie : j’ai oublié de l’arroser depuis le mois de juillet.

Elle va bientôt mourir.

Vous me voyez venir, hein…

Être député, à de très rares exceptions, c’est accepter de jouer un rôle de plante verte. Le terme n’est pas gentil, mais il convient parfaitement. C’est la lumière du parti qui vous garde en vie. Et ce jet d’eau occasionnel qu’est l’annonce d’un subside pour rénover l’aréna d’un village de votre circonscription.

Bref, il en va des députés comme des plantes vertes : je finis par ne plus les remarquer. Tenez, cette semaine, j’ai appris l’identité de deux députés. Il s’agit des caquistes Luc Provençal et Éric Girard. Je ne parle pas d’Eric Girard le ministre. Je parle de son homonyme, député de Lac-Saint-Jean.

Toujours est-il que je n’avais jamais entendu parler de ces deux députés, qui sont sûrement avantageusement connus au gala annuel des Chevaliers de Colomb de Beauceville et d’Alma. Ce n’est pas anormal, c’est ce qu’un parti au pouvoir attend de ses députés : un jovialisme anonyme.

Je me corrige : cette attente ne sévit pas uniquement dans un parti au pouvoir. Même au Parti libéral, Marwah Rizqy dérange ses collègues parce qu’elle attire trop de lumière pour les plantes vertes et muettes qui composent le reste de l’opposition officielle…

Il y a bien sûr des exceptions, des députés qui parviennent à avoir un impact au-delà des enjeux de leur circonscription1. Mais c’est rare.

Les députés Girard et Provençal, donc. Cette semaine, ils ont fait quelque chose de totalement atypique pour des plantes vertes : ils se sont rebiffés. Ils ont protesté. Ils ont montré les dents !

À propos de l’idée saugrenue du ministre des Finances (l’autre Eric Girard) de débourser de 5 à 7 millions pour la venue des Kings de Los Angeles à Québec, MM. Provençal et Girard ont dit leur mécontentement publiquement.

Je cite M. Provençal : « C’est contre mes valeurs. »

Je cite M. Girard : « C’est contre les valeurs des citoyens de Lac-Saint-Jean et je fais partie de Lac-Saint-Jean comme citoyen. »

Trois autres députés, Marie-Louise Tardif, Yannick Gagnon et Youri Chassin, ont aussi exprimé leur mécontentement, en des termes plus doux.

J’étais content de voir des députés relayer ainsi le mécontentement populaire au sein de leur parti et de le dire publiquement. Enfin un peu de diversité dans la flore caquiste.

Ça n’a pas duré !

Jeudi, le Parti libéral a tendu un piège à la CAQ. Il a présenté une motion demandant au gouvernement de retirer la subvention pour attirer les Kings à Québec…

Eh bien, mesdames et messieurs, tous les députés de la CAQ présents à l’Assemblée nationale ont voté contre la résolution suggérant au gouvernement de torpiller cette aide publique !

Même Luc Provençal et Éric Girard, ces deux députés qui ont invoqué des « valeurs » pour dire le mal qu’ils pensaient de cette subvention !

Que s’est-il passé entre leurs sorties publiques contre la subvention et leur vote contre le retrait de la subvention ? Je l’ignore. Comme je vous disais, je n’ai pas le pouce vert, je ne sais pas ce qui peut se passer dans l’âme et la conscience d’une plante verte.

Ce qui m’amène à Catherine Dorion.

J’ai lu le livre de l’ex-députée solidaire qui a tant fait jaser. Au moins 27 de mes éminents collègues du commentariat canadien-français l’ont commenté, le plus souvent en mal et très souvent pour dire que l’ex-députée de Taschereau faisait un gros show autour de sa personne et que cela dépréciait grandement « l’institution » du Parlement.

Portrait photo de Catherine Dorion.
PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

 

Fort bien, ça se discute et j’ai lu des critiques qui étaient légitimes.

Je voudrais juste dire deux choses.

Un, pour parler comme Mme Dorion, une artiste : son rôle de députée était un mauvais casting. C’était écrit dans le ciel qu’elle serait malheureuse dans ce rôle-là. Être députée exige un conformisme qui ne lui sied pas.

Comme m’a dit Jonathan Livernois, auteur de la formidable biographie du député-poète Gérald Godin, dont Mme Dorion se réclame : « Je pense que Mme Dorion aime le politique, pas la politique. Godin aimait la politique. »

Deux, Mme Dorion avait très certainement ses travers, mais je trouve quand même que la pitoyable soumission du député moderne à la ligne de parti en toutes circonstances est un péril démocratique infiniment plus grand et pernicieux que les cotons ouatés de l’ancienne députée.

C’est drôle que ça ne fasse pas couler autant d’encre.


Patrick Lagacé, La Presse, 25 novembre 2023.

Photo: JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Lisez l’original ici.

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