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Photo d'une main qui tient la main d'une personne âgée.
13 mai 2023

Ehpad: «Même si l’on sait que les résidents viennent y finir leurs jours, on n’y est jamais vraiment préparé»

  • Romancier, Nicolas Rouillé cherchait un job alimentaire entre deux projets d’écriture et a décidé de travailler dans un Ehpad (établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes).
  • Dans T’as pas trouvé pire comme boulot ?*, qui sort ce vendredi en librairie, il raconte cette expérience professionnelle intense.
  • Pour 20 Minutes, il analyse les différentes facettes de la vie en maison de retraite et confie à quel point cette aventure professionnelle l’a marqué.

Mais pourquoi diable un romancier devient-il soudainement agent de service hospitalier dans un Ehpad (établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) ? Dans T’as pas trouvé pire comme boulot ?*, qui sort ce vendredi en librairie, Nicolas Rouillé explique les raisons qui l’ont poussé à tenter l’expérience entre deux projets d’écriture, et ce en pleine crise du Covid-19. Une aventure tellement forte qu’elle a généré son envie irrépressible de la raconter.

Cet ouvrage personnel se distingue du célèbre livre-enquête de Victor Castanet Les fossoyeurs, paru en 2022, qui dévoilait les sombres secrets du groupe Orpéa, leader mondial des Ehpad. Le tableau que livre Nicolas Rouillé de l’Ehpad, sans être idyllique, est moins sombre, comme en atteste l’interview qu’il nous a accordée.

Pourquoi avoir décidé de travailler dans un Ehpad plutôt que dans un domaine proche de votre métier d’écrivain ?

A cette époque, en 2020, je cherchais un boulot alimentaire. Et pour moi, cela avait du sens de travailler en Ehpad, car j’avais de l’intérêt pour les personnes âgées. Je n’avais aucun diplôme ni expérience dans le domaine médico-social, mais le secteur a de tels besoins de recrutement que ce n’était pas un obstacle. Initialement, je n’avais pas l’intention d’écrire sur le sujet. Mais très vite, j’en ai ressenti le besoin. Je voulais aussi montrer l’aspect très humain de ces métiers, dont on devrait être fier.

L’Ehpad qui vous employait, était public. Cela explique-t-il la différence entre votre récit et les constats de Victor Castanet dans Les fossoyeurs ?

Je n’ai pas une vision globale des Ehpad, mais celui dans lequel j’étais salarié était bien géré. Il n’était ni irréprochable, ni catastrophique, mais dans la moyenne. Je pense que le souci numéro un des Ehpad publics est le bien-être des résidents, non la recherche du profit comme pour certains Ehpad privés. Il n’y avait pas de rationnement de nourriture, mais au contraire un certain gâchis alimentaire. Pas de restrictions non plus sur les protections pour les résidents, comme le décrit Victor Castanet.

Vous décrivez des métiers durs, sous-payés, fatigants…

Les équipes voudraient faire leur travail dans de bonnes conditions, mais bien souvent ce n’est pas possible. Car les taux d’encadrement prévus dans les Ehpad par les autorités sanitaires sont insuffisants. Le personnel n’a pas beaucoup de temps à passer avec chaque résident pour échanger, faire un jeu, sortir dans le jardin, alors que ces missions devraient être au cœur du métier. Cela permettrait d’améliorer nettement le quotidien des résidents.

Exercer dans un Ehpad, c’est aussi voir le travail être réorganisé sans cesse, au gré des effectifs des résidents ou du personnel et des consignes sanitaires. Des changements d’habitudes qui peuvent devenir usants à la longue. Les salaires de ces métiers sont trop bas, il faudrait les revaloriser, tout en équipant mieux les professionnels. Il n’est pas normal, par exemple, que dans un établissement comme celui où j’ai travaillé, il n’y ait qu’un lève-personne par étage.

L’esprit d’équipe règne-t-il entre aides-soignants, agents de service hospitalier, infirmiers… ?

Oui, globalement, malgré le turnover et le nombre d’intérimaires. On s’entraide lorsqu’il y a des pics d’activité, on rit pour faire retomber la pression… Il y a souvent une bonne ambiance.

Ces métiers sont peu valorisés. Pourtant, vous démontrez à quel point ils exigent une grande précision…

Oui, la technicité de ces professions est d’ailleurs assez peu connue. Pour repositionner un résident dans son lit sans lui faire mal, il faut avoir de l’expérience. Effectuer un soin cutané requiert aussi des connaissances. Donner à manger à une personne âgée nécessite beaucoup de précautions pour éviter les fausses routes.

« Les fatigués de la vie sont légion ici », « Beaucoup veulent se tirer d’ici », écrivez-vous. La tristesse est-elle le lot commun des résidents ?

Pas systématiquement, mais pour certains, c’est la première fois qu’ils vivent en collectivité, d’où leur difficulté à s’adapter. D’autant que le rythme de vie est imposé. Certains résidents n’ont jamais de visite, soit parce qu’ils n’ont plus de famille, soit parce qu’elle les a abandonnés. Par ailleurs, les personnes arrivent en Ehpad de plus en plus âgés et avec une condition physique détériorée. Ils viennent finir leur vie ici.

La toilette est un moment délicat. Comment les aides-soignants s’y prennent-ils pour que cela ne soit pas trop humiliant pour les résidents ?

Ils y accordent beaucoup d’attention et cela peut durer une demi-heure. Ils discutent pour rendre le moment plus léger… Ce qui est compliqué, c’est quand un résident refuse d’être lavé. Si on le force, c’est une forme de maltraitance, mais si on le laisse sans toilette, c’en est une aussi.

Vous dénoncez l’ennui en Ehpad. Pourquoi n’y a-t-il pas plus d’animations ?

Dans l’établissement où je travaillais, il y avait un animateur pour 88 résidents. C’est très insuffisant, cela signifie que les autorités sanitaires assument le fait que les personnes âgées s’ennuient. Il faudrait que la fiche de poste des agents de service hospitalier ou des aides-soignants indique clairement que l’animation fait partie de leurs attributions. Car il est anormal que certains résidents ne sortent jamais ou ne participent à aucun loisir collectif. Il y a urgence à ce que la santé psychique des résidents soit prise en compte en Ehpad.

D’autant que vous montrez l’effet produit par les séances de chant organisées dans la maison de retraite où vous travailliez…

Cela permet de relier les générations entre elles, car le personnel, souvent jeune, se mêle aux résidents pour chanter Dalida, par exemple. Les chansons évoquent souvent des souvenirs heureux et elles font travailler la mémoire.

Avez-vous créé des liens privilégiés avec certains résidents ?

Quand on prend le temps de discuter avec des personnes âgées, c’est un monde qui s’ouvre sur le passé. Elles racontent leur vie, la période de la guerre… Même avec une personne qui perd la tête, il est possible de tisser un lien. En lui prenant la main, en écoutant ses monologues… Même si l’échange est limité, le fait même d’être présent auprès d’elle la réconforte.

Comment avez-vous réagi aux décès de résidents ?

Quand je travaillais là-bas, à mon étage, il y a eu 10 décès en un an et demi. Même si l’on sait que les résidents viennent finir leurs jours à l’Ehpad, on n’y est jamais vraiment préparé. Et en tant qu’agent de service hospitalier, j’ai souvent dû vider des chambres ou nettoyer la salle mortuaire, ce qui est un moment toujours pénible.

Vous écrivez : « L’idée de raccrocher me fait presque peur ». Pourquoi avez-vous eu du mal à quitter l’Ehpad pour revenir à votre vrai métier ?

Je me suis attaché à beaucoup de personnes. J’ai ressenti une forme de culpabilité, car j’avais l’impression de laisser tomber les résidents. J’ai eu du mal à couper le lien et d’ailleurs, je suis retourné à l’Ehpad. Quand j’ai appris à mes collègues que j’avais écrit un livre à partir de cette expérience, ils ont bien accueilli la nouvelle. Sans doute parce que je portais sur eux un regard bienveillant.

Delphine Bancaud, 20 minutes, 13 mai 2023.

Photo: Illustration d’un Ephad (établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes). — Canva

Lisez l’original ici.

 

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