Écrivain, Nicolas Rouillé a travaillé dix-huit mois dans un Ehpad
Par nécessité économique, l’auteur Nicolas Rouillé a travaillé un an et demi dans un Ehpad comme agent de service hospitalier. Il en a tiré des chroniques pleines d’humanité devenues livre.
Écrivain, Nicolas Rouillé s’est vu proposer un contrat en Ehpad (établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) même s’il n’avait aucun diplôme. Il a vécu une expérience enrichissante qu’il raconte dans un livre, T’as pas trouvé pire comme boulot ?, où il relate les moments difficiles comme les moments de bonheur. Il nous a accordé un entretien.
Comment êtes-vous devenu agent de service hospitalier (ASH) en maison de retraite ?
Mes projets d’écriture étant interrompus par le Covid, j’ai dû trouver un boulot alimentaire. Les premiers postes qui sont apparus étaient aide-soignant ou auxiliaire de vie. Comme je voulais un travail qui ait du sens, j’ai postulé dans une maison de retraite municipale proche de chez moi. Je n’avais ni diplôme ni expérience mais la directrice m’a proposé un premier contrat d’un mois en septembre 2020.
Vous saviez ce qui vous attendait ?
Je n’ai pas de proche en Ehpad, mais je voyais vaguement de quoi il retournait. J’ai appris sur le tas : nettoyer une chambre, manipuler un fauteuil, aider une personne à se déplacer…
À cette période, il y avait des renforts et j’ai accompagné une ASH (agente de service hospitalier) titulaire qui m’a montré les tâches à accomplir. Le souci numéro un, c’était le bien-être du résident. Je précise que je travaillais dans le domaine public, pas dans un Ehpad privé comme ceux décrits par Victor Castaner dans Les fossoyeurs.
Vous l’avez lu ?
Pas à l’époque. On n’en a pas beaucoup parlé au travail, personne n’avait envie de le lire, on savait de quoi il s’agissait. Les choses qui y sont révélées sont ignobles et ont rejailli sur tous les Ehpad. Les familles étaient très inquiètes. Quand je l’ai lu, plus tard, ça m’a bouleversé et mis en colère. J’avais l’impression qu’on ne parlait pas des mêmes choses.
Le public est mieux que le privé ?
Je ne peux pas dire ça. J’ai une vision très limitée du sujet, ayant travaillé dix-huit mois dans une seule maison de retraite. Mais j’ai constaté qu’on manquait de moyens et de personnel. Car dans un Ehpad, il faut des moyens. N’oublions pas que le « d » d’Ehpad signifie « dépendantes », on est dans un milieu très médicalisé, mais le service est dégradé, à l’image du système français. Et l’administration ne suit pas toujours : il est inadmissible qu’un ascenseur soit en panne trois mois quand on connaît les répercussions.
Comment vous ont accueilli les résidents ?
Il y a des ronchons, mais en général, ils sont d’une extrême gentillesse. Ce sont des gens d’une variété incroyable, les uns pourraient être les grands-parents des autres. Ils sont très sensibles à l’attention qu’on leur porte, à l’écoute qu’on leur offre. On reçoit beaucoup de sourires. Les échanges sont cordiaux. J’ai eu des conversations passionnantes avec des résidents. Avec d’autres, ça pouvait être très limité mais un regard, un geste, un sourire peuvent dire beaucoup. Des liens se créent. Le gros problème, c’est le manque de temps. C’est frustrant. Si on échange dix minutes avec quelqu’un, il faudra regagner ce temps plus tard et ne pas passer dix minutes avec un autre qui en a peut-être besoin car il y a d’autres tâches à accomplir. En fait, deux mondes se côtoient : celui des résidents, lent, voire extrêmement lent – compter cinq bonnes minutes pour aller à l’ascenseur au bout du couloir en déambulateur. Et le monde du personnel qui doit toujours aller vite, être efficace, nettoyer une chambre en moins de dix minutes par exemple, ou servir un repas en étant expéditif mais attentionné.On aimerait pouvoir faire les choses plus posément mais on ne peut pas toujours. Il faut pourtant œuvrer de façon humaine. Le lien social, c’est ce qui donne du sens au travail.
Ce travail, les employés le font bien ?
Pour certains, c’est un métier comme un autre – ce qui ne veut pas dire qu’ils ne sont pas attentionnés – mais une grande majorité travaille avec beaucoup de conscience et d’humanité. Ils aiment les personnes âgées, ils savent pourquoi ils sont là. C’est un métier qui leur tient à cœur.
Même quand ils organisent des sorties dans le jardin ?
Sortir cinq personnes d’un immeuble de quatre étages, c’est presque un exploit. Cela demande beaucoup de temps. Il faut les habiller, aller à l’ascenseur, passer les portes avec le digicode, traverser le parking… Mais voir le ciel, sentir le vent, profiter d’un rayon de soleil, ça leur fait tellement de bien…
Et la techno en Ehpad, c’est bénéfique ?
Chaque jour, j’essayais de chanter avec les gens sur des petits créneaux. Il y avait des demandes. Puis une infirmière a eu l’idée de proposer des goûters en musique le dimanche, le jour où les résidents s’ennuient le plus. Elle m’a demandé de l’aider. Ça commençait toujours avec des femmes qui chantaient des choses comme Le petit vin blanc et un jour, la sauce a tellement pris qu’on a fini par passer de la techno. C’est un moment défouloir qui a plu à tout le monde ! C’est le genre d’instant qui rassure les familles, elles voient qu’il y a de la joie en Ehpad, que le personnel peut offrir ces moments-là, mais ce n’est pas toujours ce qu’on montre. Mon livre est un peu là pour ça. Je serais heureux qu’il circule dans les Ehpad, mais qu’il serve aussi aux familles qui culpabilisent parfois de mettre leurs parents vieillissants en maison de retraite parce qu’ils sont loin, trop occupés ou que leur état relève du médical.
À quel moment avez-vous décidé de prendre la plume pour raconter votre quotidien ?
Je n’étais pas là pour ça, c’est venu naturellement. J’ai pris des notes dans de grands cahiers car écrire m’aidait à prendre du recul sur mon quotidien surprenant et parfois compliqué. J’ai proposé une chronique de l’Ehpad à la revue CQFD avec laquelle j’avais déjà collaboré. Ça a duré un an et demi. Puis j’ai arrêté car l’Ehpad prenait tout mon temps entre le travail et l’écriture. J’avais d’autres projets, il fallait faire un choix.
Êtes-vous retourné à l’Ehpad depuis votre départ, il y a deux ans, et la sortie du livre T’as pas trouvé pire comme boulot ?
Oui, plusieurs fois. Mais ça fait mal au cœur de voir que des gens que j’ai côtoyés ne sont plus là ou que leur état se dégrade. Je revois avec plaisir d’anciens collègues. Même si certains n’ont pas aimé ma démarche, d’autres ont pris plaisir à lire mon livre. On a vécu des temps forts au travail, dans des conditions pas toujours faciles. On a ri aussi. Cette expérience a été très forte et m’a beaucoup apporté.
Quelle est votre conclusion sur l’Ehpad ?
Mon expérience m’a beaucoup interrogé sur la vieillesse. L’Ehpad, ça n’attire pas, c’est même un repoussoir. Pourtant, notre société en a besoin, mais il doit évoluer, être moins fermé sur lui-même. On doit faire mieux. Il doit être ouvert sur la ville et sur la vie. Il ne faut pas séparer les résidents de la vie.
Jean-Noël Levavasseur, Ouest-France, 3 décembre 2023.
Photo: Laurence Delort
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