Dévoilement d’un infiltré
Vous connaissez Hugo Meunier ? Il avait réussi à se faire embaucher chez Walmart pendant trois mois, pour y connaître les piètres conditions de travail des employés, une mission d’infiltration pour le compte du journal La Presse.
Il avait récidivé en s’invitant à l’Université du bonheur, une activité organisée par le mouvement raëlien, quelque part dans une bucolique campagne estrienne. Cette fois-ci, l’infiltré a eu moins de chance et s’est fait rapidement expulser. «Cet incident a été un cataclysme, une apocalypse, une petite fin du monde. Il a provoqué chez moi une crise existentielle.» Meunier se proposait d’être un infiltré à vie, c’est-à-dire de passer inaperçu à chacune de ses nouvelles missions. «Perdre mon anonymat, c’était carrément perdre mon fonds de commerce.» Ce qui ne l’a pas empêché plus tard de se trouver dans la peau d’un itinérant pendant vingt et un jours, garçon d’étable, mineur en Abitibi, éducateur dans une garderie, jeûnant pendant le ramadan avec une famille musulmane.
Obsédé par les autobiographies, il découvre sa nouvelle vocation, lors d’une séance de signature au Salon du livre de Montréal, puis convainc son éditeur de l’appuyer dans son projet d’écrire lui-même sa vie, même s’il n’a que quarante ans, ne fait pas partie du star-system et n’a aucun exploit sportif à son crédit. Bref, un gars bien ordinaire qui veut s’auto-infiltrer, « tout en enquêtant sur l’univers des livres de vedettes, qui sont souvent franchement comiques ». Et de citer en exemple le Cabaret Bio dégradable, où des comédiens lisent des extraits d’autobiographies écrites par des vedettes québécoises. L’effet est à ce point hilarant que le promoteur de ces cabarets a déjà reçu des mises en demeure pour qu’on mette fin à certaines lectures.
Meunier a donc épluché, pour pouvoir s’orienter dans sa nouvelle mission, plusieurs autobiographies. En tout premier lieu, celle de Janette Bertrand, qui a attendu «d’être octogénaire avant d’accepter de se raconter». Elle lui servira de coach. Puis celles de Nathalie Simard, la première et la deuxième, cette dernière écrite par «une plume anonyme». Je dois avouer en toute humilité que je connais intimement cette plume anonyme et que le récit des horreurs aurait pu aller beaucoup plus loin si la victime n’avait pas retranché, au dernier moment, certains passages encore plus choquants. Ou celle de l’humoriste Maxim Martin, dont la carrière a connu une résurrection médiatique inespérée grâce au succès de son autobiographie», Excessif. L’auteur insiste sur le fait que la majorité des personnes «autobiographiées» ont eu une enfance malheureuse comme Cintia de Sa, la gagnante d’Occupation double pour qui j’ai servi de «nègre» .
Sa deuxième démarche, c’est de se trouver un préfacier, pour donner de la crédibilité (entendez: plus de ventes) à son projet. Après un refus de Dany Laferrière, il demande à son ex-collègue de La Presse, Yves Boisvert, sans lui dire bien entendu qu’il joue les seconds violons.
Puis, selon la recette établie, on aura droit au récit de son enfance, dans une banlieue montréalaise, style «classe moyenne-bungalow-piscine-hors-terre». Arrivent ensuite l’adolescence, la fin du secondaire, les blondes steady et les premières virées dans les bars de Montréal, les études universitaires, les jobines, jusqu’à découvrir le journalisme, un 11 septembre 2001.
Son récit sera entrecoupé de digressions à propos de Rambo Gauthier se confiant à Victor-Lévy Beaulieu et de la biographie romancée de Mélanie Chouinard, ex-conjointe d’Éric Lapointe, racontée par Marc Fisher. Les récits autobiographiques s’entrecroisent, le destin de Justin Trudeau se mêlant à celui de l’auteur, sans oublier les conseils du conférencier Richard Turcotte, dans son livre Être l’artiste de sa vie, les aspirations de la lofteuse Elisabetta qu’on peut lire dans son Journal intime, ou la grossesse difficile de Marie-Claude Barrette, la conjointe de Mario Dumont, racontée dans La couveuse, ni Varda Étienne, le Doc Mailloux et Marie-Claude Savard.
Mine de rien, Hugo Meunier réussit à nous intéresser à sa biographie, même s’il n’est que dans la quarantaine. Son récit, teinté d’un humour subtil, nous touche, à plus d’un point de vue. Chapeau!
Jacques Lanctôt, Le Journal de Montréal, 9 septembre 2017
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