Des idées et des luttes: Je m’appelle Révolution
Lucy Parsons, un exemple flamboyant
« Je m’appelle Révolution ». Voilà le titre d’un article signé Lucy Parsons repris comme celui du livre publié aux éditions Lux en 2024. Qui est Lucy Parsons ? Elle fait partie de ces militantes anarchistes aux Etats-Unis qui durent se battre pour mobiliser les travailleurs, les femmes, les indigents contre les injustices de cette société américaine, soi-disant protectrices des droits et des libertés. Ce sont surtout la liberté de l’argent, celle de la toute-puissance des chefs d’industrie et certainement pas celle des ouvrières et des ouvriers à défendre leurs droits. Francis Dupuis-Déri rassemble dans cet ouvrage sous-titré Ecrits et paroles d’une éternelle agitatrice, des articles, des discours de cette femme de conviction, de courage, de ténacité. « Je suis anarchiste des pieds à la tête » affirme-t-elle dans une interview à La Presse en 1886.
Au fil des pages, vous retrouverez des accents dignes de Louise Michel à laquelle elle rend hommage, d’Emma Goldman, de Voltairine de Cleyre. Et c’est justice de mettre en valeur des écrits d’autres militantes que les plus emblématiques des Etats-Unis. Elle sait dans un style simple, clair, des écrits courts, accessibles à tous, traduire les principes de l’anarchisme, apporter son soutien aux luttes des noirs, des femmes, dénoncer une civilisation injuste.
« Anarchiste des pieds à la tête »
Elle naquit en 1853 à Waco au Texas. Ses parents seraient-ils des esclaves d’origine africaine ? Cette question qui, pour nous aujourd’hui, n’a qu’une importance relative est souvent évoquée par ses détracteurs affichant leur mépris pour des propos et une personne fille d’esclave, une « négresse ». Cette attitude est encore bien présente dans la société américaine aujourd’hui. Elle s’installe à Chicago en 1872 avec Albert Parsons. Ce nom vous évoque certainement des évènements douloureux pour le mouvement ouvrier et anarchistes. Nous y reviendrons. Chicago, une ville hostile aux Noirs, la violence omniprésente du racisme et du suprémacisme blanc mais cela, ils l’avaient déjà vécu au Texas où les mariages entre blanc et noir étaient interdits. Ils vivent dans les quartiers sordides, subissent les conditions de travail épouvantables notamment dans les abattoirs (cf La Jungle d’Upson Sinclair publié en 1906). Profondément déçu de l’attitude des sociaux-démocrates, Le couple devient anarchiste. A noter cette communion intellectuelle et militante qui n’est pas sans rappeler celle du couple Goldman/Berkman. Lucy considérera son mari comme son âme sœur, sans vivre dans son ombre. Ils s’investissent dans l’action militante. L’évolution technologique réduit les emplois et les licenciements renforcent la misère. Lucy Parsons s’affiche comme une grande oratrice. « Une voix qui exprime les mille et un sentiments de l’âme ».
Mémoire des martyrs et luttes sociales
Et intervient le drame de Haymarket Square en 1886. Un rassemblement ouvrier pacifique exigeant la journée de huit heures se termine brutalement par l’explosion d’une bombe, entraînant des coups de feu, la répression sauvage de la police. Aujourd’hui, nous savons qu’il s’agissait d’une provocation policière. Les autorités se déchaînent contre les anarchistes, il faut les abattre et sept d’entre eux sont arrêtés (cf Martin Cennevitz, Haymarket, Récit des origines du 1er mai, Ed. Lux, 2023). Albert Parsons se livre et, comme trois autres, sera condamné à mort et pendu. Le sens du combat pour Lucy allie mémoire de son mari, celle des martyrs et luttes sociales. « Les gens souffrent, les hommes sont au chômage, les femmes crèvent de faim, les enfants sont pieds nus. » Sa vie durant, elle interviendra partout où elle le peut pour dénoncer cet assassinat ; « Vous, meurtriers hideux ! Je vous hurle au visage ! » il y a du Louise Michel dans cette apostrophe.
Elle lit, 3 200 livres dans sa bibliothèque, écrit, donne des conférences, voyage. A Londres, elle rencontre Pierre Kropotkine.
La cause des femmes l’incite à participer à la création de la Working Women’s Union, à dénoncer l’esclavage des femmes tout comme Voltairine de Cleyre. Les ouvriers doivent s’organiser et elle suit de près l’activité des IWW, syndicat radical dans ses actions et positions pour dénoncer un système aliénant. Parmi ses textes, retenons Les principes de l’anarchisme, Je m’appelle Révolution, Pourquoi les anarchistes croient-ils que l’émancipation ne passe pas par les élections.
Reprenons la conclusion de Francis Dupuis-Déri : « Lucy Parsons est un exemple flamboyant de cette lignée de femmes qui ont consacré leur vie à la cause anarchiste et à la défense de la classe ouvrière et des pauvres ».
Francis Pian, Le Monde libertaire, 13 octobre 2024.
Lisez l’original ici.