Décortiquer et attaquer Trump (et le Trump en nous)
Dans son dernier ouvrage intitulé Dire non ne suffit plus (Lux Éditeur), la célèbre journaliste altermondialiste Naomi Klein décrypte la recette du désastre qui se cache derrière l’élection du président américain, Donald Trump. Entre l’éloge du vide, le coup d’État des multinationales et la théorie des chocs, on en apprend plus sur l’état du monde et comment éviter le précipice. Entrevue.
Il y a actuellement plus de 100 livres sur Donald Trump en librairie, comment vous démarquez-vous avec le vôtre?
La version anglaise de mon livre est sortie en juin, à un moment où il y avait moins de livres. Ou alors, il s’agissait généralement d’ouvrages s’intéressant à sa campagne ou à sa personnalité. Moi, je ne veux surtout pas savoir ce qu’il y a dans le cerveau de Donald Trump, mais plutôt comprendre comment on en est arrivé là, dans un contexte plus global de montée de l’extrême droite en France et ailleurs ou alors de Brexit en Grande-Bretagne. Je puise notamment dans des réflexions déjà présentées dans certains de mes livres précédents.
Justement, en quoi votre livre No Logo trouve-t-il écho avec le cas de Trump?
Trump personnifie le nouveau modèle commercial dont je parlais dans No Logo en 1999. Un modèle, où le produit en lui-même n’est plus aussi important que la marque ou le logo et où l’expérience qui vont avec. Trump c’est le même concept adapté à l’humain. Il ne construit plus vraiment de buildings, il vend son nom à des buildings contre des dollars et il a développé pleins de produits dérivés, souvent de mauvaise qualité, qui se vendent uniquement parce qu’ils sont reliés à son nom qui est synonyme de pouvoir et d’impunité. Dans l’incertitude actuelle, cette image de marque a d’autant plus d’impact sur ses ventes. Le génie marketing derrière son élection, c’est que ça renforce son branding: il se retrouve à la tête du pays le plus puissant du monde, les États-Unis, un pays dont l’image de marque est elle aussi la puissance et l’impunité à l’échelon mondial. Finalement, comprendre comment la marque Trump fonctionne, c’est aussi savoir où sont ses faiblesses.
Selon vous, l’élection de Donald Trump, c’est l’avènement de la kleptocratie des multinationales à un échelon inégalé. Pourquoi?
Donald Trump n’est pas le premier homme d’affaires qui devient président et qui se met à risque de conflits d’intérêts. Dans son cas, les frontières sont particulièrement floues. Par exemple, un jour il rencontre des dirigeants chinois et, dans les heures qui suivent, on annonce la signature d’un projet immobilier portant son nom en Chine. Ce sont surtout les nominations qu’il a faites. Le chef de la diplomatie, Rex Tillerson, est l’ancien pdg de la pétrolière Exxon-Mobil qui bénéficierait d’une hausse des prix du pétrole en cas de guerre au Moyen-Orient. Son sous-secrétaire à la Défense vient de chez Boeing, qui vend du matériel militaire à l’armée. Les principaux postes au Trésor et de l’économie sont détenus par des anciens de chez Goldman Sachs, qui a figuré parmi les plus voraces des banques d’investissements figurant au centre de la crise des prêts hypothécaires de 2008. Bref, tout ça, c’est en quelque sorte un coup d’état des multinationales.
Votre livre vise aussi à se préparer au prochain choc. Quelle est cette théorie?
Quand par exemple une guerre ou un attentat survient, comme celui du 11 septembre 2001, les gens sont paniqués et sont prêts à déléguer plus de pouvoirs qu’ils ne le devraient à leurs dirigeants. Que ce soit en matière d’interventions militaires ou de surveillance des citoyens. Trump pourrait exploiter une de ces crises pour faire passer les éléments les plus durs de son programme, notamment l’interdiction d’entrée au pays des musulmans. Il pourrait aussi décréter l’état d’urgence et interdire les manifestations et avoir ainsi le champ libre. Mais dans le cas de Trump, il y a aussi tous ces petits chocs quotidiens qui détournent l’attention. Pendant que les médias et la population s’émeuvent de ses condoléances ratées envers la famille d’un soldat décédé, Scott Pruitt, un climato-sceptique nommé à la tête de l’Agence de protection de l’environnement peut réaliser son travail de sabotage en toute impunité. Récemment, ce dernier a relancé la production de charbon et s’est attaqué aux nouvelles règles qui doivent forcer les pétrolières à réduire leurs émissions de méthane.
Au-delà du « non, il faut aussi agir », que proposez-vous?
Les différents courants de gauche doivent se réunir et offrir une véritable alternative. Si on ne fait que s’opposer durant quatre ans, au mieux on finira au même point qu’au début et tous les ingrédients qui ont mené à l’élection de Trump ou au Brexit seront encore réunis. C’est pour cela qu’on a créé un manifeste basé notamment sur une économie durable, où l’énergie est 100% renouvelable, où l’économie locale est de type coopérative et sert à financer les programmes sociaux des communautés dans une perspective des inégalités. Pour répondre aussi à l’urgence d’agir face aux changements climatiques et aux inégalités, il y a encore beaucoup de chemin à faire, mais la situation de crise entretenue par Trump permet par un retour de balancier de forger des unions. Maintenant, il faudrait que tous les pays s’en inspirent au lieu de faire du trumpisme, comme le gouvernement québécois actuellement, quand il veut dicter aux femmes musulmanes comment s’habiller au prétexte qu’il faut défendre la culture québécoise.
Mathias Marchal, Métro, 20 octobre 2017
Photo : Josie Desmarais / Métro
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