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Détail de la couverture du livre «Faire que!».
21 mars 2025

De l’autre côté des sombres constats

Je me dois de le dire d’emblée : j’ai rarement lu un essai aussi incisif, décisif, original et presque spirituel, au sens le plus sérieux du terme. Décidément, d’un livre à l’autre, Alain Deneault progresse et déploie une fois de plus des arguments convaincants dans une langue éblouissante, mais heureuse et limpide.

Face aux tragédies environnementales et aux multiples bouleversements écologiques, nous voici paralysés par l’éco-anxiété ou même l’éco-angoisse et, peut-être, tentés par la passivité, la fuite ou le désespoir singulier. Face à des États impotents et impuissants,, et face au Capital de plus en plus prédateur qui ne peut ni ne veut «y faire», l’urgence et les délais trop courts appellent à «faire que» et c’est sans détour qu’Alain Deneault, après avoir décrit l’extrême gravité des situations et des enjeux «diffus et terribles», prend son taureau furieux par les cornes et nous invite à sortir de nos sidérations.

«Qu’est-ce que je peux faire, moi, insignifiant petit Chose claquemuré dans l’isolement de mon humble chez soi? […] Puisqu’il n’existe aucun Que faire? pour les nuls, c’est dans un grand désarroi qu’il souffle désormais la question?» Alain Deneault reprend le cri de Gracchus Baboeuf : «La révolution! Mais pour quoi faire?» ou celui d’Albert Memmi : «Que faire pour le ghetto, mon Dieu, que faire?» Dans sa bibliographie très sélective, il ira jusqu’à citer vingt-six auteur ayant titré leurs ouvrages avec cette lancinante question.

Elle vaut la peine qu’elle provoque, «d’autant plus explosive que les pouvoirs se rendent compte de la capacité qu’ont les citoyens à l’assumer lorsqu’on daigne la leur adresser»! Que faire? ou, titre d’un chapitre: «Que défaire?» Même interrogation et même angoisse. Marx et Lénine sont bien sûr cités à comparaître, mais aussi Apollinaire ou Bernanos : Alain Deneault a beaucoup lu et les meilleurs auteurs, littéraires, philosophes, savants et autres pédagogues, écologistes ou simples provocateurs sont convoqués pour l’analyse ou le simple témoignage. Où l’on s’aperçoit que les questions laissent place à une réponse, non seulement pour l’intelligence, mais aussi du point de vue de l’action : «Relire Nietzsche : seules les pensées que l’on a en marchant valent quelque chose.»

Alain Deneault nous invite donc à «faire que», c’est-à-dire à suivre un chemin incertain, méconnu et surtout à la hauteur de notre désir. Autrement dit, l’auteur prend le risque de se méfier avec nous des réponses toutes faites et «médiocratiques», quitte à déranger nos habitudes de voir et de penser, pour tenter d’accéder à des vérités plus sérieuses et plus durables, jusqu’à la poésie même, «à l’ère de l’inouï.»

Et notre auteur ne se contente pas de cette invitation. La troisième partie de son livre est consacrée à un essai courageux de réponse, à travers une promotion vigoureuse de la biorégion, comme forme renouvelée «d’engagement politique». Appelant à son aide le fondateur de la sociologie, Émile Durkheim, Alain Deneault nous présente un milieu pour vivre et agir à taille humaine, à portée de mains et de regard, les nôtres, dans une exigeante proximité, nécessaire, raisonnable et librement organisée. Il imagine une communauté de destin, tel un milieu où le civisme concret nourrit la citoyenneté formelle et où les groupes se froment et évoluent entre égaux de droit. Alain Deneault se risque ainsi à penser autrement la politique et ses pratiques en biorégions vivantes et vivifiantes à faire, développer et multiplier. Et comme l’avait prédit Hannah Arendt, ce sera «par la force des choses» leur nécessité faisant double office de support nécessaire et de loi minimale. Après bien des drames, incendies ou déluges, la vie réclamera et fera ressurgir l’entr’aide obligée à une «échelle sensible» et désormais impérative.

Nous sommes ici loin des ex-pressions numériques et symétriques, dans une diversité généreuse , porteuse et garante du respect qu’elle exige pour durer. Finie, l’autorité de quelques uns et de leur classe, de leurs machineries ou de leurs catéchismes, fini leur verticalisme gestionnaire et «théocratique». Ni ordre des lois universelles ou des pratiques collectives, ni soumission des comportements aux «lois de la nature», mais plutôt de multiples formes de participation responsable, «à l’affût des contingences» dans des espaces de vie rechoisis et provisoirement aménagés. Deneault va même considérer, au côté des savoirs scientifiques, les acquis de la sapience populaire et autochtone: «L’histoire est principalement écrite par ceux qui l’ont vécue. La validation se fait de manière multigénérationnelle.» La transmission est ici un parcours obligé, chemin ardu de vérité.

Alain Deneault est certes conscient qu’il livre à ses lecteurs une proposition utopique, réponse à la démesure de la question posée. Cependant, il s’agit d’une perspective espérée de changement libérateur, une métamorphose des temps de la vie humaine, dont celui du travail salarié, temps artificiellement séparé du reste de la vie et du «temps libre».

Quant à la planète-terre, «Gaïa, Gaea et Gaya», la voici (enfin?) nommée ou plutôt renommée comme un être vivant et même comme un sujet: régression vers l’âge des mythologies primitives ou certitudes à tenter de restaurer? Alain Deneault convoque Bruno Latour et ses comparses pour faire accepter leurs synthèses philosophiques concordantes: Gaïa, non plus déesse qu’on prie de descendre de son ciel, mais semblable à la petite fille imaginée et contée par Gilles Vigneault dans Gaya et le petit désert, secret à redécouvrir jusqu’à la faire devenir «le fait d’une proclamation collective.»

Petit et grand livre d’Alain Deneault, qui s’achève ou s’ouvre plutôt sur un manifeste en cinq petits mots ordinaires, aussi incroyables que l’espoir: «Alors, l’avenir est à nous.»


Jean Carette, Les Cahiers de lecture de L’Action nationale, vol. 19, no 2, printemps 2025, p. 23.

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