Une critique architecturale de l’Europe
Pendant cinq ans, de 2012 à 2017, Ludovic Lamant, aujourd’hui un des rédacteurs en chef de Mediapart, a été correspondant à Bruxelles pour le journal en ligne. Comme beaucoup d’expatriés, il y a découvert une ville bizarre, moche et mal foutue, mais où une sorte d’étrange confort de vie était possible. Il y a aussi observé, au jour le jour, la vie d’une Europe en train de se faire et défaire au rythme des projets architecturaux plus ou moins mégalomanes qui en accompagnent les soubresauts. Depuis sa vigie de journaliste, il a donc pris des notes, observé, visité. De ses déambulations et méditations bruxelloises, il a tiré un livre étonnant et beau, amoureux et furieux, où il prend à la lettre l’idée de « construction européenne »: Bruxelles chantiers -une psychogéographie des murs, des vitrines, des atriums et des couloirs de ce que fait l’Europe, à savoir ses bâtiments. Il s’agit bien entendu d’un constat cruel, où se laisse entendre l’écho d’une faillite -car, dans les projets architecturaux de l’Europe, dans les grandes constructions ternes qui ont résulté des innombrables concours ayant jonché son histoire, c’est surtout une incapacité à oser, à imaginer et à désirer qui s’est manifestée. L’Europe se voulait un projet total, réinventant jusqu’à la vie quotidienne de tous ceux qu’elle concernait; elle s’est avérée être une forme d’administration parmi d’autres, enfermée derrière les façades d’immeubles de bureaux sans grâce. Qu’en faire aujourd’hui? Lamant ne cache pas sa mélancolie: pour lui, l’architecture de l’Europe est avant tout celle d’une occasion manquée ou d’un rêve avorté. Il voulait appeler son livre Bruxelles bunker. Mais même ça aurait déjà été trop lui rendre
Laurent De Sutter, Le Vif Focus, 28 novembre 2018
Photo: © CIVA
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