«La citoyenneté s’achète désormais comme une paire de chaussures»
Grand entretien d’Atossa Araxia Abrahamian pour Télarama au sujet de Citoyennetés à vendre. Enquête sur le marché mondial des passeports par Yohav Oremiatzki.
« Les passeports aussi sont un marché globalisé : un phénomène symptomatique de la privatisation croissante des États et de l’inégalité des droits entre les plus pauvres et une minorité ultra-privilégiée. Journaliste new-yorkaise aux origines diverses, Atossa Araxia Abrahamian a enquêté sur le sujet pour son livre Citoyennetés à vendre.
On connaissait la spéculation sur les biens immobiliers, les matières premières, les devises… Il faut désormais composer avec une financiarisation de la citoyenneté présageant un avenir sombre pour les droits de l’homme. Le marché mondial des passeports met en effet en lumière l’inégalité des droits entre les ultra-riches et les pauvres. D’un côté, les déracinés, réfugiés, apatrides et autres “illégaux” se comptent en millions. De l’autre, quelques happy few collectionnent les passeports pour abolir les frontières et payer moins d’impôts.
La cosmopolite Atossa Araxia Abrahamian, journaliste indépendante résidant à New York, a enquêté sur un phénomène méconnu et symptomatique de la privatisation des États : l’invraisemblable transaction conclue entre l’un des pays les plus pauvres au monde, les Comores, et les Émirats arabes unis. Pour régulariser la situation de ses apatrides, la fédération a acheté au rabais des milliers de passeports comoriens. Pour la journaliste, auteur de Citoyennetés à vendre, “les ‘citoyens du monde’ qui achètent leurs papiers dans les paradis fiscaux des Caraïbes sans jamais y mettre le pied et les sans-papiers émiratis qui obtiennent la nationalité comorienne sans jamais pouvoir s’y rendre constituent les deux extrêmes d’un même phénomène. Ils remettent tout deux en cause la validité du rapport entre l’Homme et l’État.”
Dans votre ouvrage, Citoyennetés à vendre, vous commencez par livrer votre sentiment “d’être ‘du monde’ sans y appartenir”.
Mon parcours explique l’absence de sentiment d’appartenance fort à un État en particulier. Je suis née au Canada en 1986 de parents iraniens d’ascendance russe et arménienne. Ces derniers rencontraient des difficultés pour voyager et comme on avait de la famille au Canada, ils se sont dit que ce serait mieux que leurs enfants y naissent pour obtenir le droit du sol. En réalité, j’ai grandi en Suisse jusqu’à ma majorité. Mes parents travaillaient à l’ONU. J’étais scolarisée dans une école internationale à Genève. Mes amis venaient de partout et je ne me sentais pas très suisse. A 18 ans, je suis partie étudier la philosophie puis le journalisme à New York. Douze ans plus tard, je me sens très new-yorkaise même si je n’ai ni green card ni nationalité américaine. Je n’ai encore jamais pu voter. »
Yohav Oremiatzki, Télérama, 21 septembre 2016
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