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Photo de Véronique Dassas.
11 avril 2023

«Chronique d’un temps fou»: les chroniques de la raison

« Y a tant d’folie et trop d’misère », chantait Jacques Higelin. Et ce n’est pas Véronique Dassas qui dirait le contraire. Dans son essai Chronique d’un temps fou, l’autrice dénonce la fureur guerrière des hommes et les multiples injustices vécues par les plus fragiles. Elle y narre son amour pour la culture, la littérature et les écrivains, seule bouée de sauvetage pour ne pas perdre la tête.

Le titre de l’ouvrage est un hommage à la défunte revue Le Temps fou, que Véronique Dassas a longtemps dirigée. Elle ne voulait toutefois pas y réunir des textes « d’un autre âge », privilégiant avant tout ses récentes chroniques régulières des cinq dernières années de la publication alternative Liberté. « Je n’aime pas les viandes froides, lance l’autrice en riant. Je voulais parler de notre époque avec des causes qui demeurent mon leitmotiv comme la guerre, l’immigration et la culture. »

« Le Temps fou, quelle époque quand même ! » lâche l’essayiste de 70 ans lors d’une entrevue avec Le Devoir. Ses yeux s’allument lorsqu’elle parle de sa vie au Québec. « Je débarquais de la France à l’âge de 24 ans en 1976, l’année de l’élection du Parti québécois, une date que l’on n’oublie pas. J’ai ensuite intégré l’équipe de la revue de 1977 à 1983, jusqu’à la parution du dernier numéro. »

La native de Bordeaux découvre alors un pays en effervescence à la fois intellectuelle et politique. Elle raconte avoir découvert cette Amérique française à mille lieues de ce qu’elle pouvait imaginer. « J’avais l’impression qu’on allait faire la révolution demain. C’était plein de comités citoyens et syndicalistes. J’ai vécu cette période comme des années de formation à observer une société qui m’a tout de suite fascinée et dans laquelle j’avais la conviction que je pouvais tout entreprendre. »

Elle se laisse alors emporter par le tourbillon du milieu intellectuel indépendantiste. Avant ce coup de foudre avec « ces gens qui avaient l’air de se battre pour quelque chose d’important » et qui l’ont accueillie à bras ouverts, le nationalisme ne lui disait pas grand-chose. Elle rejoint leur lutte, expliquant être devenue souverainiste d’abord par sympathie. « Et cette conviction est restée en moi le restant de ma vie. »

L’essayiste revient brièvement sur la tentative de relancer Le Temps fou à partir des années 1990, mais sans succès. « On a tenté de reprendre la revue alors que les mouvements politiques de gauche étaient en décrépitude. On voulait refonder la gauche, retrouver des idées et des théories intéressantes avec de nouvelles bases. On ne les a pas vraiment retrouvées », souffle-t-elle.

Après une parenthèse de 12 ans passée en Italie, Dassas compte maintenant revenir s’installer au Québec afin de vivre proche de sa descendance, enfants et petits-enfants. Elle se dit heureuse de retrouver son coin qu’elle voit bien changé, mais où demeure cette philosophie du possible. « On vit toujours à peu près des époques folles, même si les folies peuvent varier un peu, notamment aujourd’hui », dit-elle.

Malgré les années passées, avec son lot de désillusions et une option souverainiste en berne, l’essayiste n’a toutefois rien perdu de ses convictions et de sa verve, notamment pour dénoncer l’injustice ou la démagogie des puissants. Ainsi, la première partie de l’ouvrage divisée par thèmes aborde des sujets très contemporains, comme la pandémie de COVID-19 ou la guerre en Ukraine.

« Je ne suis évidemment pas spécialiste des conflits ou de la virologie, mais on a le droit en tant qu’être humain de s’exprimer sur des enjeux qui concernent notre avenir. Sans dire n’importe quoi, on n’a pas non plus besoin d’être un expert de la géopolitique pour parler de la guerre, puisque la guerre, c’est quelque chose de grave. »

Les méchants d’un côté, les gentils de l’autre… La pensée binaire, très peu pour Dassas, qui s’intéresse davantage à l’entre-deux, cette zone de gris entre le noir et le blanc dans laquelle il est souvent bon de se plonger, souligne-t-elle. « La guerre en Ukraine, il y a la propagande russe, bien sûr, mais la propagande occidentale existe aussi. Dans les journaux, à la radio ou à la télévision, c’est le va-t-en-guerre et la course aux armements qui ont le monopole. Les voix des pacifistes sont étouffées. »

Elle revient aussi sur certaines de ses chroniques poignantes, comme celle intitulée Le rivage des monstres qui s’attarde sur le sort des migrants en Méditerranée devenue cimetière marin pour des milliers de personnes en quête d’un avenir meilleur. Elle dénonce aussi l’érection des murs, la « barricadisation » des frontières internationales. « Je suis horrifiée de voir tous ces camps horribles à Lesbos, en Libye, au Maroc ou en Espagne. Les gens sont entassés, affamés. Ils se font battre, torturer, les femmes sont violées. »

La deuxième partie est composée de portraits d’écrivains rencontrés (ou pas) par l’essayiste, d’où le titre « Exercices d’admiration » emprunté à une oeuvre phare d’Emil Cioran. S’y succèdent Philip Roth, Primo Levi, John Berger, Réjean Ducharme… S’y ajoutent des figures moins connues ou anonymes et pour lesquelles Véronique Dassas voue un véritable amour.

« J’aime les figures discrètes, car à mon avis, je pense qu’on parle trop. On vit dans une société du spectacle. On parle souvent pour ne rien dire. Je crois que les personnes qui fuient tous ces bavardages inutiles sont celles et ceux qui ont raison. »


Ismaël Houdassine, Le Devoir, 11 avril 2023.

Photo: Hubert Hayaud, Le Devoir

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