Chomsky: en finir avec le capitalisme
Depuis les années 1950, Noam Chomsky est une des figures majeures de la gauche radicale américaine. Linguiste de premier plan, le nonagénaire poursuit sans relâche son combat en faveur de l’émancipation individuelle et collective.
Depuis les années 1950, Noam Chomsky est une des figures majeures de la gauche radicale américaine. Linguiste de premier plan, le nonagénaire poursuit sans relâche son combat en faveur de l’émancipation individuelle et collective. Avec le géographe Marv Waterstone, il nous offre Les conséquences du capitalisme. Du mécontentement à la résistance, livre édité par les éditions Lux.
Ce livre de près de 500 pages rassemble une vingtaine d’exposés formant un cours dispensé en 2019 à l’université de l’Arizona, Waterstone se chargeant des cours théoriques et Chomsky des éclairages historiques. Cours, université… cela pourrait laisser penser que le livre en question n’est pas destiné à finir entre toutes les mains. Il n’en est rien. Ce livre a été pensé comme un outil d’autodéfense intellectuelle à destination de celles et ceux qui refusent le monde tel qu’il est et va. Face au fatalisme, au « there’s no alternative », ce que les auteurs appellent le « réalisme capitaliste » qui laisse entendre qu’il ne peut exister d’autres modèles viables d’organisation de la société, Waterstone et Chomsky se dressent avec vigueur et urgence. Car l’avenir de la planète est en jeu. Dans un livre de 2020, Chomsky a écrit : « L’idée que le destin d’un pays et du monde soit entre les mains d’un bouffon sociopathe est particulièrement inquiétante. »1 Trump n’est plus, mais le trumpisme n’est pas mort, tout comme le « climatonégationnisme ». Les auteurs le savent, et la victoire de Biden ne change rien à l’affaire.
La critique portée par les deux auteurs sur le capitalisme est des plus classiques. Elle doit tout à Marx et à une lecture classique de ce dernier. L’autre influence majeure est Gramsci et son concept d’hégémonie. Comment les élites sont-elles parvenues à convaincre la population à penser comme elles ? Comment cette rhétorique mortifère qui met en péril la survie de l’humanité a-t-elle pu s’imposer partout, et notamment au coeur de la première puissance mondiale ? Chomsky souligne à quel point propagande gouvernementale, poids de la presse conformiste et répression sévère des mouvements sociaux jouèrent et jouent toujours un rôle majeur dans cette fabrication du consentement ; il y ajoute la peur, cette « paranoïa » qui fait « partie de la psyché états-unienne » et sur laquelle tant de fascistes et de prédicateurs font reposer leur rhétorique2, hier comme aujourd’hui.
« La stratégie que nous adopterons pour nous sortir de ce pétrin (écrit Chomsky) devra s’appuyer massivement sur un mouvement de travailleurs résurgent et dynamique ». J’en suis convaincu même si les luttes sociales occupent très peu de place dans l’ouvrage, ce qui traduit bien l’état de faiblesse dramatique du syndicalisme de transformation sociale outre-Atlantique ; tout juste les auteurs évoquent-ils l’idéal coopératif comme façon alternative de produire des biens nécessaires à la vie.
L’ambition de ce livre est de convaincre le lecteur que le capitalisme porte la guerre, l’injustice et la destruction de la nature comme la nuée porte l’orage, qu’il serait suicidaire de refuser de relier intellectuellement et pratiquement les différentes luttes sociales et sociétales. Urgence climatique et urgence sociale ne s’opposent pas ; elles doivent se féconder l’une l’autre. Et là-bas comme ici, il n’y a pas de temps à perdre.
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2 Léo Löwenthal et Norbert Guterman, Les prophètes du mensonge. Etude sur l’agitation fasciste aux Etats-Unis, La Découverte, 2019. — Traduction française d’un classique (1949) de la sociologie américaine (la célèbre école de Francfort) qui décrypte le discours des agitateurs fascistes/populistes américains des années 1930-1940.
Christophe Patillon, Médiapart, 13 octobre 2021
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