ACTUALITÉS

Photo d'un troupeau de canards prenant son envol.
25 septembre 2023

Choisir les canards

Dans ses chroniques, notre collaboratrice Nathalie Plaat en appelle à vos récits. Dans « Pendant que les champs brûlent », elle vous demandait, sachant que le renoncement n’est pas une option, comment résister et donner un sens aux métadécisions relatives aux changements climatiques. La rubrique « Des nouvelles de vous » en a retenu quelques extraits.

 

Pendant les vacances, nous avons fait une croisière dans les Mille-Îles dans le but d’aller visiter le Boldt Castle pour faire plaisir à la plus grande de nos deux filles, âgée de six ans, passionnée des licornes, des princesses et des châteaux qui les abritent. Sur le bateau, une voix rendait compte du paysage, de ce qui se trouvait sur les différentes îles que nous croisions. Essentiellement des îles appartenant à de riches capitalistes sur lesquelles se trouvaient maisons et villas qui suscitaient la prise de photos en série.

Ce spectacle m’a renvoyé à l’essai de Dahlia Namian, La société de provocation, dans lequel l’autrice dénonce l’obscénité des ultrariches qui achètent notamment des îles pour se protéger d’éventuelles crises ou catastrophes, qu’ils auront paradoxalement largement contribué à provoquer par leurs comportements démesurés et destructeurs.

Nous éprouvions un grand malaise devant cette célébration du système capitaliste qui génère pourtant de terribles inégalités sociales, qui ne cessent de se creuser. Voulant souligner la démesure devant nous, mon chum a désigné à notre cadette, âgée de trois ans, un garage de yachts, au moins dix fois plus gros que notre maison. Face à cette absurdité, elle s’est exclamée : « Non, regarde là, les canards ! » en lui montrant trois canards sur l’eau juste à côté de l’île sur lequel se trouvaient les yachts. Nous avons éclaté de rire, nous étions contents, fiers et admiratifs de son regard, qui avait fait triompher les canards. J’étais émue.

Depuis, j’ai souvent repensé à cet épisode, que j’ai raconté à des amis, et je me suis promis d’essayer de faire triompher les canards à mon tour. Je me suis dit que je devais continuer à lutter pour que le regard de ma fille et du reste du monde puisse encore choisir de se tourner vers les canards dans le fleuve Saint-Laurent.

Je me suis promis de choisir les canards, malgré la tentation à l’inertie provoquée par notre sentiment d’impuissance face aux comportements des ultrariches et de nos gouvernements, qui ont choisi le camp des yachts et des jets privés. Je me suis promis de choisir les canards, qui illuminent le regard de ma fille plutôt que la croissance, la performance et l’efficacité qui, au mieux, l’indiffèrent.

Cette promesse signifie pour moi de protester, beaucoup, mais aussi de ralentir et de renoncer à des habitudes et privilèges qui contribuent à l’accélération des changements climatiques. Il ne s’agit pas là d’une privation, d’un effort individuel vain, alors que d’autres s’en donnent à coeur joie, mais d’un changement de paradigme.

Il s’agit pour moi d’une posture éthique qui renvoie au concept autochtone, particulièrement utilisé en Équateur, de buen vivir, en espagnol, ou sumak kawsay, en quechua, qui s’appuie sur le principe d’une relation harmonieuse entre les êtres humains et la nature. Un concept qui nous enjoint de résister pour bien vivre avec la nature, dont nous faisons intégralement partie et que nous devons embrasser pour retrouver notre capacité d’émerveillement et la beauté du monde qui nous entoure.


Marie-Ève Carpentier, Le Devoir, 25 septembre 2023.

Photo: iStock – Le Devoir

Lisez l’original ici.

Inscrivez-vous à notre infolettre

infolettre

Conception du site Web par

logo Webcolours

Webcolours.ca | © 2024 Lux éditeur - Tous droits réservés.