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Portrait photo de Catherine Dorion.
14 novembre 2023

Catherine Dorion, tête brûlée assumée

On ne l’avait pas oubliée, mais presque. Or voilà que Catherine Dorion, après avoir disparu de la scène politique, refait jaser ces jours-ci, et ça fesse. En fidèle irrévérencieuse assumée, l’ex-députée de Québec solidaire persiste et signe, et prend la plume tête baissée.

 

« Je le sais que ça va exploser », confie-t-elle, rencontrée en ce lundi de l’arrivée en librairie de ses Têtes brûlées, carnets d’espoir punk, où elle revient sur son passage pour le moins mouvementé à l’Assemblée nationale, de 2018 à 2022. Sorte de récit de ses rêves à la brute réalité, où elle cite tantôt Gérald Godin, tantôt Pierre Bourgault, tout y passe : de ses grands espoirs en tant que députée solidaire jusqu’à la « vacuité » des activités protocolaires parlementaires, en passant par son parti, qui a tout fait selon elle pour la « lisser » (histoires de tuque et de coton ouaté incluses).

Elle revient évidemment sur son rapport avec les médias, lesquels orchestrent à Québec et en politique parlementaire, notamment, un habile jeu de « téléréalité », à coups de « déclarations chocs » et autres « trains ininterrompus de niaiseries », comme elle dit.

Catherine Dorion n’épargne pas non plus le porte-parole du parti, Gabriel Nadeau-Dubois, avec qui elle entretient des relations tièdes, c’est le moins qu’on puisse dire, dans son récit sans langue de bois.

«Le parti sans chef est en voie de devenir un parti où l’influence d’un seul homme est à la fois infiniment réelle et infiniment taboue.»

Citation tirée des Têtes brûlées, carnets d’espoir punk, de Catherine Dorion

L’autrice le sait, sa prose, toujours aussi engagée, ne risque pas de faire l’unanimité. « Je suis habituée. Je sais ce que c’est qu’une tempête », dit celle qui en a effectivement vu d’autres, en répondant avec franchise et émotion à toutes nos questions, qui, actualités obligent, ne portent d’abord pas tant sur son essai que sur cette fameuse « tempête » anticipée. « Je suis zen », dit-elle en souriant doucement, devant un café et un croissant.

« Journal intime »

À tous ses détracteurs, à commencer par Louis-Philippe Boulianne, attaché du parti à Québec, qui a publié une longue réplique sur les réseaux sociaux dimanche, Catherine Dorion rétorque : « Mon livre est comme un journal intime, évidemment qu’il y a des choses qui ne correspondent pas au vécu des autres. C’est mon ressenti. Et j’y tiens. C’est important que ces ressentis-là existent, qu’une parole soit libérée, qu’on mette en lumière ce malaise. »

À l’instar des conflits de couples, poursuit-elle, « c’est comme ça que la conversion éclate. Le but reste de se dire : est-ce qu’on peut avoir une discussion fondamentale ? »

Et dans le cas qui nous concerne, et qui concerne Catherine Dorion jusqu’au plus profond de ses tripes, la question demeure : « Quelle stratégie la gauche doit-elle prioriser pour remettre les élites à leur place et redonner le pouvoir au peuple ? »

Est-ce qu’on veut poursuivre avec la stratégie que j’appelle du bon élève, ou alors opter pour la stratégie de l’espoir punk, et réveiller l’irrévérence ?

Catherine Dorion

En d’autres mots : « Est-ce qu’on peut espérer amener notre monde vers le changement sans changer comment on fait les choses ? »

À tous ceux qui se demandent, à la lumière de ses nombreuses désillusions, pourquoi diable Catherine Dorion a voulu être députée, elle répond : « Comme député, tu as un rôle de représentation. […] J’ai voulu représenter le peuple, avec force, avec des idées, de l’émotion et de l’irrévérence, dit-elle, en pesant chacun de ses mots. Et ce rôle de représentation là, je l’ai pris très au sérieux. »

À cet effet, Catherine Dorion dit aussi avoir reçu quantité de mots de remerciements : « tu nous rends fiers », « tu leur as tenu tête », assez inspirants merci, pour celle qui a refusé ce « moule de la députée en série ». « J’ai senti un potentiel révolutionnaire dans l’expression de cette émotion, dit-elle en souriant. Un refus face à l’ordre imposé ! » D’où, entre autres coups de gueule, son fameux déguisement d’Halloween en députée modèle, en 2019.

« Panne d’espoir »

Mais son propos ne se limite pas à sa rébellion vestimentaire. Crise du logement, crise climatique, crise tout court, « la panne d’avenir est intense ! », poursuit l’autrice, en revenant sur ses propos tenus la veille, sur le plateau de Tout le monde en parle.

«On ne peut pas ronronner le même spectacle, on a besoin de réveiller l’irrévérence, de créer un mouvement social !»

Catherine Dorion

En ce sens, Québec solidaire a déjà fait bien des choses, prend-elle soin ici de souligner. « L’opposition au troisième lien, les logements sociaux, il y a plusieurs choses qui font partie de la conversation politique grâce à Québec solidaire ! […] Ce parti a une histoire hallucinante ! »

N’empêche qu’il est peut-être à la croisée des chemins. « Et j’ai reçu beaucoup de messages de la part de personnes importantes du parti qui m’ont dit merci, merci de libérer cette parole », glisse-t-elle.

Mais elle n’est pas dupe. « Je sais qu’il va y avoir des moments difficiles dans les prochains jours, conclut-elle. L’expression d’une vérité, même si elle est subjective, fait mal. Mais je crois vraiment que libérer ça, extérioriser ça, c’est une condition essentielle à l’espoir. Et on est en panne d’espoir immense ! »

Plusieurs crises d’anxiété et un solide épuisement plus tard, l’expression de cet « espoir » passe désormais par l’art pour Catherine Dorion. Elle mijote, outre ce livre, un projet de théâtre documentaire baptisé Sciences po 101, Traité d’insoumission à l’usage du vrai monde, pour 2025. L’objectif de sa « démarche artistique » ? « Que le non-dit éclate. Qu’on entre dans la vérité. Qu’on pose les vraies questions », conclut-elle.


Sylvia Galipeau, La Presse, 14 novembre 2023.

Photo: FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

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