Le nouvel essai de l’artiste et ancienne députée de Québec solidaire, Catherine Dorion, s’adresse à « tous les irrévérencieux du Québec » qui souhaitent rompre avec le marasme ambiant. En révélant dans son livre les obstacles qui lui ont dérobé son énergie durant son mandat à l’Assemblée nationale, et ce, notamment au sein de son parti, elle désire que cela puisse servir à d’autres militants.

Attablée au Oui oui Café, à Québec, celle qui a quitté la politique depuis plus d’un an insiste sur l’importance de « réveiller l’irrévérence » dans la population. Son essai, qui s’intitule d’ailleurs Les têtes brûlées, se veut une réappropriation de ce terme péjoratif. « J’ai traîné ça toute ma vie. Ma mère me disait : “Tu ne vois pas le danger”. Mais il y a aussi qu’on m’a dit à plein d’endroits dans ma vie : “Tu vas trop loin. As-tu pensé aux conséquences ?”. » Ce à quoi elle rétorque avec une phrase du cinéaste Pierre Falardeau : « On va toujours trop loin pour les gens qui ne vont nulle part. »

Catherine Dorion est plutôt d’avis que ce qui pose problème, à l’heure actuelle, est la « panne d’espoir » qui affecte la société québécoise. « On ne croit plus en l’avenir, on ne sait plus à quoi ça sert de mettre de l’énergie, on est défaitiste à fond, on n’a plus envie de se soulever. » Son livre, qui sort en librairie lundi, se veut donc un appel à cesser collectivement de se comporter comme un « chevreuil immobilisé devant les phares du camion ».

« Libérer la parole »

Pour y arriver, les politiciens doivent pouvoir s’exprimer librement, sans être restreints par la ligne de parti, affirme celle qui a siégé au Salon bleu de 2018 à 2022.

Elle évoque dans son essai ses prises de parole dans l’espace public qui ont défrayé la chronique, mais qui ont également irrité le co-porte-parole solidaire, Gabriel Nadeau-Dubois, selon ce qu’elle rapporte. « Il m’exprime très clairement le noeud du problème […] : “Tu as plus d’attention média que les porte-parole, ce n’est pas normal.” Comme on dit au théâtre : j’upstage. Ça ne se fait pas », écrit-elle.

Catherine Dorion relate avoir alors compris que les « attaques » médiatiques concernant son habillement — comme le port du coton ouaté au Salon bleu — allaient « diviser » M. Nadeau-Dubois et elle.

La mère de trois enfants aurait plutôt espéré que le politicien de 33 ans adopterait la même attitude que celle qu’il avait eue en 2018, peu de temps après l’élection de dix députés solidaires. « On vous dérange, on vous bouscule ? Habituez-vous », avait-il alors dit. « Je pensais que ce serait le style [du parti] et qu’on allait développer un sentiment d’appartenance autour de cette irrévérence-là, que, moi, je considère comme essentielle », souligne-t-elle.

Elle lance en riant que l’attitude « punk » est d’ailleurs répartie de façon équitable dans tous les groupes sociaux du Québec. « C’est très répandu chez les immigrants, les gens de région, les jeunes et les vieux », observe-t-elle.

Entre doutes et nécessité

La femme de 41 ans admet avoir eu des doutes en rédigeant son livre, notamment en raison de la crainte que certains passages soient repris par les « commentateurs de droite pour tenter d’affaiblir la gauche ». « Mais, en même temps, ça va être momentané. Et je pense que l’éclairage que j’apporte peut amener des débats et des réflexions qui peuvent être bénéfiques à plus long terme », ajoute-t-elle.

Elle fait d’ailleurs état de M. Nadeau-Dubois, qui, d’après elle, s’adonne, comme bien d’autres, à une part importante du jeu politique qui consiste à se livrer à des « pressions émotives et à des tractations de pouvoir ».

M^me Dorion souhaite que Gabriel Nadeau-Dubois et Manon Massé, cette dernière s’apprêtant à passer le flambeau de co-porte-parole tout en restant députée, prennent le temps de lire son essai. « Ils ne seront pas contents, mais j’espère juste qu’ils comprendront pourquoi et qu’ils ne vont pas penser que c’était pour leur nuire directement parce qu’il n’y a pas de ça », souffle-t-elle, les yeux embués.

Il est plutôt question de relever les différents rapports de pouvoir, notamment en politique partisane, et d’y réfléchir, précise-t-elle. « On s’est tellement mis dans la tête que l’ennemi avait un nom et qu’il s’appelle “l’autre parti” ou whatever, qu’après, les autres formes de pouvoir qui veulent te restreindre et t’aplatir, ton cerveau fait comme si ça n’existait pas. Et plus il est proche de toi, dans ton environnement de travail, plus c’est difficile de le voir », explique-t-elle, le regard vif.

L’énergie dérobée

La somme des obstacles rencontrés a réussi à lui dérober une part de sa vitalité durant son mandat, déplore-t-elle. L’ancienne députée de Taschereau estime cependant se porter désormais bien mieux qu’à son départ de la politique. En lisant son essai, des amis lui ont admis ignorer qu’elle avait autant souffert durant son mandat, notamment en raison de salves médiatiques. « J’étais maganée en maudit. Mais je ne me sens plus maganée. C’est sûr par contre que je ne reviendrai pas avec l’espèce d’énergie que j’avais avant ça. »

Son épuisement avait atteint un tel stade durant son passage à l’Assemblée nationale qu’elle était devenue incapable de se plonger dans la lecture de romans ou d’essais, confie-t-elle. « Ça allait tellement vite que je pouvais lire des bouts de textes, des comptes rendus, mais je n’avais plus la concentration pour les livres ni pour écrire. Je voulais amener de l’art en politique, mais à la fin de mon mandat, je n’étais plus capable de créer. »

Avec le recul, Catherine Dorion ne s’ennuie certainement pas de l’agenda surchargé d’un député, qui lui « donne envie de vomir juste à y penser ». « Mais on avait un poids dans la balance. C’est le côté hot d’être dans un parti », souligne-t-elle, au sujet des mobilisations qu’elle avait organisées, entre autres, pour s’opposer au troisième lien.

Elle n’exclut pas un retour en politique active un jour. « Peut-être plus tard dans ma vie, genre à soixante ans. Mais là, en ce moment, j’aurais zéro énergie. » L’artiste, qui a quitté le Salon bleu pour « enflammer le mouvement social » avec ses créations, sera sur scène en 2025 pour présenter une pièce de théâtre documentaire sur la politique. « C’est un peu inspiré du livre, mais ça va plus loin sur notre rapport et notre inféodation au travail. »

Florence Morin-Martel, Le Devoir, 13 novembre 2023.