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Portrait photo de Catherine Dorion.
10 novembre 2023

Catherine Dorion: sorcière hopepunk libérée de sa prison mouvante

Elle sort un livre rempli de coups de gueule et d’espoir

 

Je l’avoue d’emblée, mon jupon dépasse.

J’ai une sympathie naturelle pour Catherine Dorion*, qui s’apprête à sortir un livre (un exorcisme? Une infiltration?) sur son passage en politique, où elle fut, le temps d’un mandat, la députée la moins drabe de l’Assemblée nationale.

Toujours admiré ce côté-contre-courant-coton-ouaté-mal-engueulée-passionnée-fataliste-artistico-kamikaze-WTF qui lui attirait les foudres des chroniqueurs (ceux de l’Empire, surtout), de la bien pensance politique et de bon nombre de détracteurs sur les réseaux sociaux.

Bon, je l’aurais peut-être pas trouvé reposante à la longue si elle avait été dans ma team politique, mais c’est clairement avec elle que j’aurais voulu traîner dans les partys et philosopher en fin de veillée autour d’un spliff, n’en déplaise à Marwah Rizqy (mon deuxième choix, talonnée par Pascal Bérubé qui m’a l’air d’un redoutable adversaire de bras-de-fer).

J’ai rencontré Catherine Dorion lorsqu’elle avait annoncé qu’elle ne se solliciterait pas de deuxième mandat, en avril 2022. Je me souviens de son visage crispé lorsque je lui avais demandé avec une belle candeur si son départ allait provoquer des réactions dignes du décès d’un dictateur nord-coréen au sein de sa formation.

Après m’être tapé en deux jours les 370 pages de son livre Les Têtes brûlées: carnets d’espoir punk (Lux), j’ai finalement compris sa réaction faciale.

Sans être une charge contre Québec solidaire ou son porte-parole masculin, Catherine Dorion trempe sa plume dans l’encrier de la vérité – la sienne, à tout le moins – et nous tire par la manche à l’intérieur de cette « salle de spectacle » qui fonctionne tout croche au point de rendre cynique le plus enthousiaste des coachs de vie et qu’elle décrit ainsi dans son livre : « Le milieu de la politique partisane et celui des médias politiques fabriquent ensemble, main dans la main, une espèce de téléréalité imposée à tous. Cette téléréalité, les médias en sont les scénaristes et les metteurs en scène, tandis que les politiciens en sont les participants zélés prêts à tout pour remporter le gros lot. »

Si vous voulez savoir concrètement à quoi ça ressemble, la vie de députée à l’intérieur de la « bulle », ce récit vous scotchera à votre sofa.

Faire le ménage

L’ex-députée de Taschereau m’accueille dans une chaleureuse maison champêtre de Limoilou, à la devanture couverte de feuilles mortes. Le soleil illumine l’endroit. Je me garde de gaspiller de la salive pour vous décrire son look, vu que le Québec s’en est chargé pendant des années. Sa fille aînée, onze ans, pointe le museau au bout du couloir. Les deux cadettes (neuf et trois ans) ne sont pas là.

On s’installe dans un grand salon lumineux avec de beaux sofas et des vinyles pour commencer l’entrevue. La tournée médiatique en marge de la sortie de son livre s’amorce et culminera avec un passage à Tout le monde en parle.

J’ai lu son livre et je suis stressé pour elle. Pas parce qu’il est mauvais, bien au contraire, mais parce qu’elle n’a pas enfilé de gants blancs avant de s’installer devant sa machine à écrire. Elle m’assure ne pas l’avoir fait en étant en sacrament, jugeant préférable de laisser retomber un peu de poussière avant de s’y mettre. « J’ai passé six mois avec mon allocation de transition. J’en ai profité en esti. J’étais pas ben, en crisse et je n’étais pas prête à m’exprimer là-dessus. J’ai pris du temps pour moi, vu mon psy », raconte-t-elle.

C’est en janvier qu’elle commence à mettre de l’ordre dans ses notes et revisite son journal dans lequel elle consigne sa vie depuis qu’elle sait écrire. « Mon cerveau était un gros locker en bordel et j’ai commencé à faire du ménage », illustre l’autrice des Luttes fécondes (Atelier 10).

 Elle peut aussi compter sur le soutien de son éditeur Mark Fortier, même si – de son propre aveu – l’ouvrage demeure «échevelé».

C’est elle qui le dit. Sauf pour quelques réflexions plus sociologiques/philosophiques sur notre mode de vie capitaliste éparpillées ici et là, le récit est structuré de manière assez chronologique, de son enfance rebelle à la fin de son mandat de députée.

Sans spoiler le livre, la vie politique commence plutôt bien, avec la frénésie d’une campagne inspirante menée à coup de vidéos virales et de pancartes vandalisées artistiquement. Un vent de fraîcheur.

«Mais le coït sera vite interrompu. Le lendemain de son élection, après 45 minutes de sommeil, le bordel médiatique s’amorce. Son look est déjà le “talk of the town”.»

« C’est peut-être une taxe de bienvenue passagère, comme la moustache à Manon. Mais mon compte de taxe s’avérera pas mal plus salée », souligne-t-elle dans son livre.

Sa première journée en chambre est marquée par une première désillusion. Le serment à la Reine d’Angleterre, une tradition archaïque, qui a (enfin) commencé à être contestée, depuis.

«​​On devient donc députée en se prêtant à une sorte de fraude intellectuelle et morale. Tu veux devenir une vraie politicienne ? Commence par un mensonge. Publiquement. Fais-le », écrit-elle.

Les jours passent et les couleuvres sont de plus en plus difficiles à avaler. Premières confrontations avec les journalistes, tenues vestimentaires, jurons: Catherine Dorion est de l’or en barre médiatique. « Mon rôle était fixé : j’étais une provocatrice, une plotte à Kodak coupable de toute l’attention dont on m’accablait. Cette image générale, dans les premiers mois, a fait le tour de la province à peu près sans résistance. »

 « Je ne regrette rien »

Même si on est à des années-lumière du conte de fées où la démocratie triomphe à la fin, Catherine Dorion se défend aujourd’hui de faire un constat d’échec sur son passage en politique. « Je ne regrette rien, je suis vraiment fière. Je me suis mesurée à quelque chose, je me considérais forte psychologiquement, mais je ne m’attendais pas à ça. C’est comme revenir de la guerre », décortique Catherine, qui dit avoir perdu une forme de naïveté dans tout ça.

Ce cul-de-sac parlementaire, ce système qu’elle qualifie de « périmé », est dénoncé tout au long de l’ouvrage. L’impuissance aussi de faire bouger les choses à l’intérieur d’un spectacle un peu incestueux entre les élus et les médias.

Avec le vent dans la figure, Catherine Dorion est parvenue à faire sa part, loin des grands fantasmes révolutionnaires. Ses efforts pour faire bloquer le projet Laurentia, ses sorties répétées contre le 3e lien, sa campagne pour attirer le tramway à Québec, sans oublier sa participation active dans la création du collectif Liberté d’oppression, visant à dénoncer « la montée des propos haineux, de l’intimidation et de la désinformation dans certains médias du Québec » Bref, une foule d’accomplissements qui semblent pourtant obscurcis par ses costumes d’Halloween.

Son expérience politique lui aura certainement appris à réaliser à quel point on part de loin pour faire monter la barre. Elle croit fermement que rebâtir notre démocratie (ok, ça sonne fort) devra passer par le corps. « Par les liens humains, l’attachement, le sentiment d’appartenance, l’amour et le désir de transmettre. Fa’que enweyez, les corps », résume-t-elle, pendant que sa fille entre au salon lui demander à dîner.

« Tu peux te faire un grilled cheese, mais reste à côté de la poêle », répond la mère.

Dans son livre, Catherine Dorion raconte avoir elle-même ressenti cette puff d’humanité après sa dernière question en Chambre, lorsque les députés de tous les partis se sont levés pour lui faire une ovation. Une sorte de cadeau de départ venant du cœur.

« Je ne vois plus des partis, des députés, des ministres, des riches, des “politiciens à gogo”. Je vois des papas, des grands-mamans, du monde ordinaire, qui, par d’étranges concours de circonstances, se sont retrouvés là, mais qui, tous, peuvent être touchés et vouloir toucher à leur tour », écrit-elle.

«Ils m’ont pas eu, les estis»

Dans ces carnets d’espoir punk, le mot «hopepunk» revient à plusieurs reprises. Je demande à Catherine de me le définir. « Dans un monde dominé par le spectacle de notre déchéance assumée (guerre, extinction, etc.), croire en l’avenir, qu’il y a du beau, aménager des espaces de résistance et les entretenir avec amour, c’est crissement punk. » Loin de baisser les bras, elle se raccroche aujourd’hui à ce verre à moitié plein pour poursuivre ses luttes.

«“J’ai l’impression de savoir quoi faire comme militante, maintenant. J’ai un sentiment de victoire. Ils m’ont pas eu, les estis”, réplique-t-elle, sourire en coin.»

À travers les chapitres du livre, Catherine Dorion aborde l’intimidation en milieu scolaire, le sexisme, la pression, le workaholisme, l’anxiété et la dépression qui planait au-dessus d’elle tout au long de son mandat. Des thèmes durs, qu’elle a attaqués de front grâce à la littérature, qui lui sert d’armure.

Fait intéressant, c’est lorsqu’elle était le plus au bout du rouleau qu’elle a senti le vent tourner, comme si elle avait survécu à son initiation. Je cite un passage.

« C’est dans la noirceur du dernier hiver avant la pandémie, alors que j’étais à un poil de m’effondrer psychiquement, que la scandalite s’en alla d’un coup comme elle était venue. De façon soudaine, les milieux politique et médiatique qui avaient d’abord eu envers moi un réflexe d’éjection se mirent à me respecter et à m’appeler madame. »

Le porte-parole masculin

Ce qui devrait retenir l’attention des médias traditionnels, c’est sa critique assez virulente à l’endroit de Gabriel Nadeau-Dubois et la direction de Québec Solidaire, qui, selon elle, s’échinent tout au long de son mandat à la faire entrer dans un moule. Ce moule, c’est l’injonction à respecter une ligne de parti, alors que la formation avait juré de faire les choses différemment. Elle mène même sa petite enquête auprès d’ex-membres de la formation pour sonder la déception ambiante, après s’être fait vendre un parti anti-système, au service du peuple.

En gros, Catherine Dorion reproche à GND d’avoir abandonné ses convictions au profit de l’image et de la peur d’avoir mauvaise presse. Elle donne quelques exemples d’interactions avec son chef, qui lui reprochait apparemment « d’upstager » son propre parti avec l’attention médiatique qu’elle générait à elle-seule. Elle dit: « Peu importe. Du fond de notre tranchée, une chose est maintenant claire: nous ne nous aimons pas beaucoup. »

Elle reconnaît malgré tout la contribution de GND à avoir rendu banales dans l’espace publique des idées jugées comme étant radicales dans un passé pas si lointain.

Chialer contre sa job

L’entrevue va bon train, le grilled cheese de sa fille crépite dans la poêle, au loin. Il nous reste encore un peu de temps avant sa prochaine entrevue prévue en début d’après-midi.

Catherine Dorion est relaxe, enjouée, en verve. Même si elle dit n’avoir pas trop la chienne à l’idée de faire des vagues avec son livre, elle me demande toutefois si je crois qu’elle est trop raide.

En même temps, enchaîne-t-elle, qui n’est pas critique à l’endroit de sa job ou son boss? Elle réitère n’avoir cherché qu’à mettre sa propre expérience en mots, avec tous ses bémols.

«“Quel travailleur au Québec peut dire: moi, je trouve que 100% de ma job est utile? Dans un monde où les gens manquent de temps, c’est une cruauté systémique”, affirme-t-elle.»

L’ex-députée ajoute avoir réussi à se rendre utile dans sa circonscription en dehors de ses heures de parlementaire (ce qui est absurde), au prix d’un épuisement.

« Comme des enseignantes brûlées parce qu’elles font du surtemps, mais qui doivent répondre à toutes sortes de niaiseries imposées durant leurs journées de travail. »

 En politique, ces niaiseries prennent la forme d’un agenda imposé par les médias avides de clickbaits.

Mais l’heure n’est pas à la rancœur. Pour Dorion, le livre est un moyen de tirer un trait sur cette étape de son parcours et à se consacrer à ses nombreux projets artistiques en chantier. Parce qu’elle ne bluffait pas en disant vouloir mettre l’art au service de la démocratie.

Présentement, elle termine un documentaire sur les territoires imaginaires à conquérir, en plus de préparer une pièce de docu-théâtre avec son comparse, Alex Fecteau. « Je crois que les artistes sont essentiels, là-dedans. »

Il arrive un moment où l’émotion que chacun vit individuellement devient un bluetooth partagé et est plus forte que le message ambiant.»

Changer le monde

Libérée de cette « prison mouvante » qui réglait son horaire au quart de tour, Dorion se tient désormais loin de la politique (incluant la course à la chefferie chez QS) et des médias, sinon pour s’intéresser à ce qui se passe au Proche-Orient. De quoi bouleverser cette titulaire d’un baccalauréat en Relations internationales et Droit international de l’UQAM et d’une maîtrise en sciences politiques à Londres.

Je la laisse cultiver son jardin, en lui demandant si elle pense avoir au moins un peu décoincé la politique. « Mon rêve, c’est pas que le monde puisse aller en coton ouaté à l’Assemblée nationale, mais montrer qu’on peut faire de la politique sans devoir entrer dans le moule », laisse-t-elle tomber.

«L’avenir nous dira si Catherine Dorion a eu le temps de semer une graine qui finira par fleurir un jour. »

Malgré le cynisme qui transpire en parcourant son livre, l’ex-bad ass de Québec Solidaire se raccroche encore à cet espoir de changer le monde. C’est en portant les cicatrices invisibles laissées par sa vie politique qu’elle s’efforcera dorénavant de le faire. « Il [le monde] change sans arrêt, il n’arrête pas de le faire. Peut-être que ce qui ferait du bien, c’est qu’il cesse de changer trop vite. Est-ce qu’on a un pouvoir sur le monde? Voilà la question qu’il faut se poser…»

*Chez URBANIA, on aime pas juste Éric Duhaime. 


Hugo Meunier, Urbania, 10 novembre 2023.

Lisez l’original ici.

 

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