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Détail de la couverture du livre «Les têtes brûlées».
16 novembre 2023

Catherine Dorion, cet oiseau-lyre

Drôle d’oiseau que cette Catherine Dorion ! En éternelle parade nuptiale avec ses plumes ocellées et hirsutes, sa poésie punk, ses déclarations tonitruantes, son exhibitionnisme, son envie d’être ailleurs mais pas trop loin des caméras, ses coups de bec contre les notables de tous poils. Tout cela, plus son rêve d’autre chose — de la vraie vie qui est ailleurs, comme le disait Rimbaud —, de l’art libre susceptible de réveiller les morts. Elle en aura irrité, intrigué, diverti et parfois inspiré plusieurs au long de ses quatre années comme députée de Québec solidaire à l’Assemblée nationale. Si baveuse, si vivante, si hors des clous !

Dans son livre Les têtes brûlées, la pasionaria cogne à bras raccourcis sur les journalistes en se victimisant sans cesse. Mais étaient-ils obligés de la ramener sans répit à ses tenues iconoclastes pour lui river son clou ? Après tout, son t-shirt avec la figure du poète franco-ontarien Patrice Desbiens était un cri littéraire tonifiant ; son déguisement d’Halloween de politicienne bon chic bon genre, une grenade d’autodérision bien envoyée. Il s’est dansé avec les médias, ce tango-là.

Aujourd’hui, son profil de prima donna la sert plus que jamais. Invitée sur toutes les tribunes pour lancer son plaidoyer pro domo. On y ajoute un couplet chacun à son tour. Les têtes brûlées se vendra comme des pains chauds, c’est sûr.

Ses règlements de compte avec son parti ne sont pas la partie la plus édifiante de son témoignage. Elle en aura fait baver son équipe à force de détourner vers sa pomme l’attention nécessaire aux politiques de son parti. De l’intérieur, des voix protestent contre son brûlot en rappelant ses erreurs de jugement. Et comment ne pas comprendre Gabriel Nadeau-Dubois de se sentir blessé par ses propos ? Il l’avait souvent défendue malgré leurs rapports sous tension et l’avait empêchée de commettre des gaffes énormes, comme participer à une vidéo brûlant en effigie Justin Trudeau. Tirer dans les jambes du parti qui l’avait fait élire n’élève pas sa statue.

Les codes de l’Assemblée nationale étaient trop guindés pour cette artiste rebelle. Elle se sera quand même battue pour faire souffler un vent de libération au Salon bleu. Et bien des jeunes se sont sentis galvanisés par son désir de faire de la politique autrement.

Utopisme, naïveté, coup de pub autopromotionnel : tant qu’on voudra. Reste que son combat contre le capitalisme aveugle et son invitation à miser sur l’humanité résonnent plus fort depuis sa sortie politique, alors que l’anxiété collective quant aux guerres et aux crises climatiques atteint des sommets. Ils semblent moins fous qu’avant ses appels à changer d’approche, à sacrifier la langue de bois pour toucher des électeurs déboussolés. Le spectacle d’une planète à bout de souffle face aux multinationales croulant sous les profits a de quoi révolter. Ainsi, les vieux moules craquent-ils de toutes parts.

On a mieux à tirer de ses Têtes brûlées que les éclipses sur ses errances, le manque d’autocritique et les coups bas de l’écrivaine. Une quête de sens, entre autres. Son livre dénonce la course du rat nourrie de vitesse, de performances, de rivalités toxiques ; rythme effréné pesant sur des corps épuisés. Bref, le quotidien de bien des gens en train d’exploser sous le stress et les visions d’horreur sorties de leur télé.

Quand elle évoque des élus (elle incluse) rivés sur leurs cellulaires dans les couloirs de l’Assemblée nationale sans plus communiquer entre eux, elle allume une lumière dans les esprits. Il est vrai que nos temps hyperconnectés engendrent par l’absurde des déconnexions profondes. Vrai que les écrans nuisent à la transmission comme aux liens d’appartenance et de solidarité. Elle appelle à la révolution des esprits en criant fort, mais aurons-nous le choix, demain, dans l’état actuel du monde, de modifier nos modes de vie ? Ça ne signifie pas qu’ils doivent être remplacés par les séances anarchico-théâtrales préconisées par Catherine Dorion, mais que les statu quo des institutions se fragilisent bel et bien.

L’ancienne députée de Taschereau convoque à sa barre Gérald Godin, en endossant de bien grands habits. Le poète du Tango de Montréal avait trouvé jadis la partie fort rock’n’roll au conseil des ministres du PQ. Et de citer l’ancien compagnon de Pauline Julien à travers un texte paru dans Le Devoir en 1980 : « La question n’est pas de savoir ce que les poètes font en politique, mais bien plutôt ce que la politique fait aux poètes. » Catherine Dorion renchérit avec une pirouette : « Au fond, la révolution, c’est une affaire d’ambiance. Et si tu veux de l’ambiance à ton party, t’es aussi bien d’avoir quelques rêveurs fous dans la place. »


Odile Tremblay, Le Devoir, 16 novembre 2023.

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