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24 janvier 2016

Canoë, 30 avril 2011

Livre référence:
Elles ont fait l’Amérique

Chercher la femme

Ce n’est pas évident de sortir la femme des oubliettes de l’histoire officielle. Pendant mille ans, on les a reléguées à des rôles de mères, de brodeuses et de religieuses. Les hommes les préféraient bonnes maîtresses de maison que lettrées et elles n’avaient qu’accidentellement accès à des postes de pouvoir. Heureusement, les choses ont changé. Un peu.

Ben oui, je suis féministe. Le mot a souvent mauvaise presse, même auprès des filles, ce qui est étrange. Mais quand j’ai commencé mon cégep, en 1980, toutes les filles les plus intéressantes étaient féministes. Si je voulais sortir avec elles, il fallait bien que je prenne note!

Et j’ai si bien appris d’elles que c’est moi qui faisais la cuisine et la mère de mes enfants qui sortait les vidanges, quand nous vivions ensemble quelques années plus tard.

Je ne suis pas devenu un homme rose pour autant, mais peut-être quelque chose comme un homme roast-beef: brun à l’extérieur, rosé à l’intérieur. À cette époque pas si lointaine, les femmes revendiquaient (ce vilain verbe).

Maintenant, j’ai surtout l’impression qu’elles font du yoga. Ou alors le petit tapis de mousse roulé est devenu un accessoire mode incontournable. Le bien-être personnel a remplacé les préoccupations politiques et sociales.

Quand on parle matantisation des médias, c’est de ça qu’il est question, au fond. Il y a donc un certain courage dans le livre de Serge Bouchard et Marie-Christine Lévesque, Elles ont fait l’Amérique (De remarquables oubliés, tome 1), Lux éditeur, 432 pages.

L’AMÉRIQUE EST UN NOM FÉMININ…

À travers 15 portraits de femmes qui ont vécu des débuts de la colonie jusqu’au milieu du vingtième siècle, à peu près, Bouchard et Lévesque racontent le choc de l’Amérique qui parfois fait basculer un destin. Car ces femmes sont venues ici en tant que filles ou épouses, mais les difficiles conditions d’existences, les guerres indiennes et les maladies en ont transformé plusieurs en veuves ou en orphelines.

Et c’est là qu’elles se sont révélées à elles-mêmes, confrontées à la beauté d’un paysage immense et sauvage, et à des modèles de liberté qui n’avaient rien à voir avec la rigidité des moeurs de l’Ancien Monde.

C’est Mina Benson Hubbard qui s’en alla explorer le Labrador parce que son mari y avait trouvé la mort et qu’elle souhait rétablir sa mémoire en cartographiant le territoire. C’est la dernière des Béothuks, Sanadithit, dont le peuple a été exterminé, et qui a été recueillie par les bonnes âmes de l’époque, pour qu’elle puisse ainsi perpétuer la mémoire des siens.

C’est Estelle Wheelwright, fille d’un puritain, enlevée par les Abénakis et élevée par eux, enduite de graisse d’ours par les Indiens, puis récurée par les Jésuites et devenant supérieure des Ursulines.

C’est la grand-mère de Louis Riel, Marie-Anne Gaboury, qui parcourut les Grandes Plaines avec son mari chasseur de bisons…

…LA LIBERTÉ AUSSI

Destins exceptionnels, oui. Mais le personnage qui se révèle le mieux à travers ces pages, c’est l’Amérique elle-même, ce continent immense, cet espace affolant, ses mouches noires, ses dangers, ses paysages grandioses et, portée par les vents, sa promesse de liberté.

Il y a quelque chose de férocement subversif, dans ce livre, et de réjouissant. C’est la notion d’ensauvagement. Je cite, page 110: «Nous sommes en face d’une vérité stupéfiante que toutes les autorités, françaises comme anglaises, protestantes ou catholiques, de même que bien des historiens et annalistes, n’auront de cesse de nier: vivre à l’amérindienne était plus attrayant que d’évoluer (autant dire, de stagner) dans les sociétés répressives de la vieille Europe, obsédée par ses sempiternels démons aristocratiques et religieux.»

C’est un livre remarquable qui nous incite à retrouver en nous un peu de cet esprit d’ensauvagement. Ce n’est pas un livre parfait. Certains passages sont trop écrits, avec des métaphores un peu foireuses: «Étoile brillante, puis mourante, perdue dans les impensables chimères de son temps, elle a à sa manière semé la graine d’un pays» (à propos de Françoise- Marie Jacquelin, page 39).

Je sais pas, vous, mais des étoiles qui plantent des graines, ça fait comme tilt dans ma tête.

Mais ce n’est pas très important. Ce qui l’est, c’est l’appel à la liberté qui s’exprime dans ces pages, un petit rappel que nous n’avons pas toujours été préoccupés par nos plans de retraite, la rénovation de la cuisine et l’accord des vins avec les mets.

En écrivant sur les femmes qui ont fait l’Amérique, Bouchard et Lévesque suggèrent que la matantisation des médias n’est pas une affaire de fille, mais plutôt une volonté économique et politique de nous garder à la maison, bien tranquille, alors que dehors, l’Amérique nous appelle, indomptable.

Aventure est aussi un nom féminin.

Jean Barbe, Canoë, 30 avril 2011

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