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24 janvier 2016

Cahiers des Amériques latines, 2009/No. 62

Livre référence:
Histoire de la Révolution mexicaine

La révolution mexicaine – sujet peu populaire dans l’historiographie francophone – a constitué un bouleversement auquel prirent part des groupes variés de la société. Certains historiens estiment que cette révolution demeure inachevée tandis que d’autres assurent qu’elle a provoqué un véritable changement social. Quoi qu’il en soit de ce débat, ce fut un épisode qui a profondément marqué l’imaginaire social latino-américain. À l’heure de la remémoration – au sens benjaminien du terme – de cet épisode essentiel, nous assistons à la réédition d’un classique de l’historiographie en la matière sous la houlette de la maison québécoise Lux Editeur: l’ouvrage de Jesús Silva Herzog paru en 1960 sous le titre Breve historia de la revolución mexicana à l’occasion du cinquantième anniversaire du début de la révolution.
La première partie du texte est consacrée à la situation économique du début du XXe siècle, période durant laquelle la majorité de la population mexicaine se trouvait dans la plus grande misère. La terre concentrée dans les mains de quelques familles (huit individus étaient propriétaires de 22500000 hectares), l’évasion fiscale de la part des élites, la surexploitation de la main d’œuvre (journée de travail de douze heures), le mépris de groupes indigènes et la dictature animée pour un homme déjà octogénaire, le général Porfirio Díaz: tels furent les principaux facteurs qui conditionnèrent le soulèvement populaire armé en 1910. Mais les grèves de Cananea en 1906 et, sept mois plus tard, celles de Rio Blanco, avaient aiguisé le mécontentement populaire et rendu nécessaire la formation d’un groupe politique d’opposition. En ce sens, il faut prendre en considération la présence de cercles libéraux et du cercle de tendance anarchiste des frères Ricardo et Enrique Flores Magón, à l’origine du programme du Parti libéral mexicain qui influença la rédaction du Plan de San Luis du 5 octobre 1910. Par ailleurs, l’importance de Francisco I. Madero et de sa campagne électorale de 1910 comme riposte au régime porfiriste est mise en valeur par l’auteur. Selon Silva Herzog, Madero était convaincu que la population n’exigeait que des changements politiques, ne se rendant pas compte que l’accès à la terre était la donnée prioritaire pour certains groupes, comme les zapatistes. Pour ce mouvement populaire, les réformes madéristes furent donc très insuffisantes et expliquent la rédaction, le 25 novembre 1911, du manifeste connu comme «Plan de Ayala» et soulignant la question agraire. En outre, l’une des graves erreurs du président Madero a été de sous-estimer des figures comme Francisco León de la Barra, Victoriano Huerta et le neveu d’ancien dictateur, le général Félix Díaz, qui, avec le soutien de l’ambassadeur nord-américain Henry Lane Wilson, ont organisé le renversement du gouvernement madériste en 1913. À ce propos, Silva Herzog mentionne que la présence de la «doctrine Monroe» était alors tout à fait évidente (p. 162).
La deuxième partie de cet ouvrage concerne le période allant de 1913 jusqu’à la déclaration de la Constitution en 1917. Le régime du général Victoriano Huerta, un des principaux protagonistes de la decena tragica, a été marqué par la concentration de pouvoir et une terrible répression contre ses opposants, ainsi que par la dissolution des chambres fédérales en octobre 1913. En réponse, l’armée constitutionnelle dirigée par Venustiano Carranza préconisa la mise en œuvre d’une nouvelle constitution et le renversement de «l’usurpateur Huerta» (p. 187). Les campagnes militaires d’Álvaro Obregón, Francisco Villa et Emiliano Zapata jouèrent alors un rôle essentiel dans la poursuite et la reformulation du processus révolutionnaire.
Il va sans dire que ce livre vieux de 50 ans – et remanié en 1972 – exige aujourd’hui une critique à l’aune de nouveaux apports théoriques et historiographiques, par exemple à propos de la lutte entre conservateurs et libéraux ou des tensions au sein du groupe constitutionnaliste. Mais l’édition proposée ici a le mérite de nous offrir une postface proposant une excellente analyse de l’ouvrage par Felipe Ávila Espinosa. Les commentaires de cet historien réputé valorisent le texte et soulignent notamment le grand impact du livre sur les lecteurs mexicains. Il convient donc de saluer la nouvelle publication de ce classique de l’historiographie mexicaine, qui suggère que la révolution du début du XXe siècle est toujours un référent possible dans la quête d’une société démocratique, juste et égalitaire. En dépit de son caractère daté, le texte mérite aussi d’être redécouvert par les générations actuelles en ce qu’il participe d’une généalogie des mouvements sociaux contemporains en Amérique Latine.

Luis Martínez Andrade (EHESS-CEIFR) Cahiers des Amériques latines, 2009

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