«Brique par brique, mur par mur»: pour en finir avec toutes les prisons
Tout commence par un constat : « les services que les prisons sont censées rendre ne compenseront jamais les torts qu’elles causent depuis leur création. » À la faveur de l’incarcération de masse et du meurtre de George Floyd, qui a entraîné de vibrants plaidoyers pour le définancement de la police, le discours envers la prison s’est fait de plus en plus critique ces dernières années aux États-Unis et, dans une moindre mesure, au Canada.
Or, le mouvement militant visant l’abolitionnisme pénal — soit la suppression des prisons et des autres institutions qui forment le système pénal, comme la police et les tribunaux — prend racine en Europe, en Scandinavie, au début des années 1970.
Souvent qualifiée d’utopique ou de dangereuse, la tradition de l’abolitionnisme pénal a traversé les âges sous différentes formes, soutenue par les militants et regroupements de la gauche radicale ; voix parmi lesquelles se sont distingués Angela Davis aux États-Unis, Louk Hulsman aux Pays-Bas, Jacques Lesage de La Haye et Thierry Lodé en France.
Dans l’essai Brique par brique, mur par mur, Gwenola Ricordeau, professeure associée en justice criminelle à l’Université d’État de Californie, Joël Charbit, chercheur associé au Centre lillois d’études et de recherches sociologiques et économiques, et Shaïn Morisse, doctorant au Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales, retracent l’histoire et les trajectoires transnationales des mouvements politiques qui ont mis au coeur de leur démarche la critique radicale du système carcéral ou judiciaire.
Ainsi, pour les abolitionnistes, les réformes des institutions carcérales sont insuffisantes et ne servent, sans aucun résultat probant, qu’à renforcer une illusion de protection, de sécurité et de justice. Les trois auteurs décortiquent un ensemble de mythes, démontrant — chiffres à l’appui — que les institutions pénales sont stigmatisantes et destructrices pour les personnes condamnées, incapables d’apporter les ressources ou le soutien nécessaires à la guérison des victimes, en plus de perpétuer un ordre social et racial inégalitaire.
Au-delà de son caractère plus didactique, qui s’adresse d’abord et avant tout aux militants, l’essai comporte aussi une section plus accessible et fort instructive, visant à répondre à des questions fréquentes posées par le grand public, notamment en lien avec la peur que suscitent les meurtriers et les agresseurs et les possibles solutions de rechange aux prisons.
Bien documenté, rigoureux et judicieusement construit, l’essai s’avère une excellente source de réflexion pour imaginer une société différente, ouvrant ainsi le travail sur les réflexions à venir. Comme ce qu’ils décrivent émane toutefois d’un horizon lointain — pour ne pas dire inaccessible —, les chercheurs auraient eu avantage à se tourner encore plus du côté des victimes, afin de voir comment les changements proposés pourraient, à court terme, changer la donne pour ceux qui, en attendant la grande révolution, continuent de subir les violences d’un système inadéquat, et offrir une prise à ceux qui ne savent plus comment avancer.
Anne-Frédérique Hébert-Dolbec, Le Devoir, 18 mai 2024.
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