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Détail de la couverture du titre «Les anarchistes espagnols».
24 octobre 2024

Bookchin et les anarchistes espagnols

En 1977 paraissait en anglais « Les anarchistes espagnols (1868-1936) ». Un demi-siècle plus tard, les éditions Lux nous permettent de découvrir cet écrit de Murray Bookchin, décédé en 2006, une des personnalités importantes de la gauche radicale américaine, libertaire, écologiste dont les écrits sur le municipalisme ont trouvé des oreilles attentives du côté du Kurdistan.

Murray Bookchin, Les anarchistes espagnols. Les années héroïques (1868-1936), Lux, 2023

En 1977 paraissait en anglais Les anarchistes espagnols (1868-1936). Un demi-siècle plus tard, les éditions Lux nous permettent de découvrir cet écrit de Murray Bookchin, décédé en 2006, une des personnalités importantes de la gauche radicale américaine, libertaire, écologiste dont les écrits sur le municipalisme ont trouvé des oreilles attentives du côté du Kurdistan1.

Murray Bookchin fait partie, tout comme son cadet Noam Chomsky, de cette jeunesse juive américaine qui s’est politisée durant les tumultueuses années 1930, et c’est la guerre civile espagnole qui a entamé la confiance qu’il accordait alors à l’URSS, l’amenant à rompre avec le stalinisme triomphant de l’époque. A la fin des années 1960, Bookchin a commencé à travailler à ce livre nous menant de la création à la fin des années 1860 d’une section de la Première Internationale outre-Pyrénées au soulèvement franquiste et à la riposte ouvrière de l’été 19362.

Pour se faire, il n’a pas travaillé sur archives mais s’est appuyé sur une très volumineuse bibliographie et le recueil d’interviews d’acteurs de l’époque. Avec une belle plume, Bookchin rend ainsi hommage au prolétariat espagnol, à sa capacité à se réinventer après chaque vague répressive, mais c’est aussi une façon pour lui de défendre un anarchisme prolétarien confronté à la contre-culture post-68 en pleine dégénérescence qu’il combattait alors au sein de la gauche radicale américaine3. Il insiste d’ailleurs beaucoup sur l’ascétisme des libertaires ibériques, leur « credo éthique sévère, fondé sur le devoir, la responsabilité de travailler et le mépris des plaisirs de la chair », conséquence d’une « époque marquée par la rareté matérielle » pour le prolétariat.

L’Espagne d’alors est un pays déchiré entre monarchistes et républicains, calotins et anticléricaux, réactionnaires et libéraux, centralistes et fédéralistes qui tous recherchent le pouvoir en se servant des classes populaires comme marchepied ; une monarchie à bout de souffle qui s’appuie sur l’armée pour mettre au pas ouvriers et paysans. L’Espagne est une terre de misère et de peu de droits. C’est dans ce contexte hostile où le revolver, l’exil sont une condition de la survie que le mouvement ouvrier, de toutes tendances, se meut.

Nous sommes ici très loin du récit hagiographique. Bookchin ne cache rien des conflits très âpres qui ont parcouru, durant ces décennies, un mouvement libertaire et anarcho-syndicaliste espagnol très divisé, des difficultés qu’il a rencontrées pour s’affirmer au-delà de ses places fortes catalane et madrilène. Il souligne sa capacité jamais démentie de s’organiser et de se réorganiser en explorant des formes nouvelles afin d’échapper à la répression, de nouer parfois des alliances avec d’autres forces syndicalo-politiques, et de partir à l’assaut du ciel avec l’idéalisme comme boussole4 : « Si les anarcho-syndicalistes n’arrivaient pas à faire triompher la révolution, ils savaient en tout cas comment entretenir la fièvre révolutionnaire5 ».

Pour le Murray Bookchin de 1977, s’intéresser à l’anarchisme espagnol était aussi une façon d’appeler la « gauche contemporaine (à) renouer avec un socialisme éthique ». Comme l’a écrit Georges Orwell, rescapé de la guerre d’Espagne, « Si les hommes s’épuisent dans des luttes politiques déchirantes, se font tuer dans des guerres civiles ou torturer dans les prisons secrètes de la Gestapo, ce n’est pas afin de mettre en place un paradis avec chauffage central, air conditionné et éclairage (…) mais parce qu’ils veulent un monde dans lequel les hommes s’aiment les uns les autres au lieu de s’escroquer et de se tuer les uns les autres. »

 

Notes

1 Pierre Crétois et Edouard Jourdain (sldd), La démocratie sous les bombes. Syrie-Le Rojava entre idéalisation et répression, Le Bord de l’eau, 2022.

2 Murray Bookchin a abandonné l’idée d’écrire un second volume sur la guerre civile, considérant que la CNT-FAI «  a connencé à s’éloigner de ses principes à partir de la fin de l’été 1936 ».

3 Murray Bookchin, Une société à refaire. Vers une écologie de la liberté, Ecosociété, 1993, pp. 204-221.

4 Lire à ce sujet Ignacio Diaz, Asturies 1934. Une révolution sans chefs, Smolny…, 2021.

5 Ces mots sont de Gerald Brenan, auteur du Labyrinthe espagnol. Origines sociales et politiques de la guerre civile, Champ libre, 1984.


Christophe Patillon, Mediapart, 24 octobre 2024.

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