Big Pharma: un coût social très élevé!
La pandémie de Covid-19 a permis à l’industrie pharmaceutique de faire d’(in)commensurables profits.Toutefois, les mérite-t-elle ? Qu’est-ce qui justifie une telle rentabilité ? Est-ce au nom des moyens mis dans la recherche ? Peut-on parler de captation du savoir commun -la multiplication des brevets- ? Quelles concessions la puissance publique, l’Etat, lui a-t-il faites ? Comment se réapproprier le bien commun ?
“[…] ce ne sont pas les besoins de santé de la population qui déterminent les choix d’investissement. Au contraire, la recherche de profits toujours plus importants réduit de plus en plus le nombre de personnes qui ont accès aux produits que requiert leur état de santé. […] les entreprises pharmaceutiques n’ont pas pour objectif de permettre à celles et ceux qui en ont besoin l’accès aux médicaments qu’elles vendent.“
Gaëlle Krikorian est docteure en sociologie à l’Ecole des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS). Ancienne militante d’Act Up, puis conseillère pour les Verts au Parlement européen et directrice des politiques de la Campagne d’accès aux médicaments essentiels de Médecins sans frontières (MSF), elle alterne les phases de recherche, de conseil politique et d’engagement dans la société civile.
Elle publie, aux éditions Lux, Des Big Pharma aux communs, Petit vadémécum de l’économie des produits pharmaceutiques.
Dans ce court et très efficace vadémécum, l’auteure fait un diagnostic sans appel des dérives des Big Pharma, et pointe “les angles morts de la stratégie industrielle des compagnies pharmaceutiques”. La crise sanitaire du Covid-19, s’il en était besoin, n’a fait que confirmer la mainmise des Big Pharma sur l’ensemble du processus, qui mène de la découverte à la production du médicament, et ce à leurs seules conditions.
“À la mi-2022, la vente de 12 milliards de doses avait permis aux firmes de dégager des profits colossaux, tandis que 44% de la population mondiale n’avait pas eu accès à une première dose.”
La puissance de l’industrie pharmaceutique dicte par ailleurs quels territoires et quelles populations seront en droit de recevoir lesdits médicaments -seul compte le profit qu’elle pourra en tirer- excluant les pays pauvres ; toutefois, la pénurie organisée et maîtrisée a lieu aussi dans les pays riches. Ces pénuries, au Nord comme au Sud, ont, de fait, un coût social très élevé pour les populations écartées dans l’accès aux médicaments essentiels.
Il est donc plus que temps de reprendre la main sur le bien commun -de l’innovation à la distribution des produits de santé, mais cela ne se fera pas sans difficulté : “L’intervention du secteur privé dans l’élaboration des politiques publiques en matière de santé s’est accentuée au cours des dernières décennies. Cette influence s’exerce entre autres dans le cadre des collaborations entre agents du secteur public et salariés ou représentants de firmes ou de groupes industriels”.
Le désengagement de la puissance publique, l’Etat et son administration de santé, dans l’expertise et la prise de décision ont permis aux Big Pharma d’être maîtresses du jeu !
Il est nécessaire de s’inquiéter de la pertinence des arbitrages publics en la matière.
Il faut remettre en cause les réglementations récentes sur le secret commercial ou secret d’affaires. Et que cesse le match entre l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce) et l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé), et dont les Big Pharma sortent toujours vainqueurs !
“La politique économique et industrielle pourrait ainsi être mise au service de la santé publique, au lieu d’être à la fois vassale et fonds de commerce d’une poignée d’acteurs économiques en quête de bénéfices faramineux.”
Terrain Social s’interroge donc sur le coût social (très élevé) de l’économie des produits pharmaceutiques, et, avec Gaëlle Krikorian, appelle à faire toute la transparence sur les pratiques des Big Pharma.
Hugues Chevarin, Le Chantier, 15 novembre 2022.
Photo: © Christelle Gaujard/REPUBLIQUE DU CENTRE/MAXPPP. L’entreprise EMA Pharmaceuticals Lailly-en-val capsule pour les vaccins Eric Lebossé de Lannoy, les seuls en France a fabriquer les capsules pour le vaccin de la Covid-19.
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