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15 avril 2017

Pour une anthropologie anarchiste – Bibliothèque Fahrenheit 451

L’anarchisme a pris la place qu’occupait le marxisme dans les mouvements sociaux des années 1960 pourtant il est peu présent au sein des universités, tant dans les enseignements que dans les revendications des professeurs. Les anthropologues qui étudient les diverses façons d’organiser la société, notamment sur des bases égalitaires, moins aliénantes, restent muets. David Graeber se propose de les interroger « malgré eux » et de préciser certaines affinités.

Tandis que le marxisme est un discours théorique sur une stratégie révolutionnaire, l’anarchisme est un discours éthique sur une pratique révolutionnaire.

L’auteur rappelle que Pierre Kropotkine a plongé le darwinisme social dans une crise dont il ne s’est pas encore complètement remis en documentant comment les espèces qui prospèrent le plus efficacement sont celles qui coopèrent.

Marcel Mauss, fondateur de l’anthropologie française, auteur de l’Essai sur le don (1925) pensait que le socialisme ne pourrait jamais être créé par décret de l’État mais seulement construit graduellement à partir de la base, qu’une nouvelle société basée sur l’entraide et l’auto-organisation pouvait être construite au sein même de l’ancienne. Si les fragments d’une anthropologie anarchiste existent (presque) déjà, ils trouvent leur source chez Mauss. Celui-ci a démontré que les sociétés considérées comme fonctionnant à l’aide du troc, étaient en fait des économies du don. Elles n’étaient pas fondées sur le calcul mais sur le refus de calculer. Les Amazoniens, par exemple, n’ignoraient pas à quoi  pouvait ressembler une forme de pouvoir étatique — c’est-à-dire qui permette à quelques hommes de donner des ordres à tous les autres sans qu’ils puissent les contester grâce à la menace du recours à la force — mais étaient justement déterminés à ce qu’elle ne puisse voir le jour. Ces sociétés étaient de fait anarchistes car elle rejetaient la logique de l’État et du marché. Elles sont cependant imparfaites puisqu’elles maintiennent des dominations, des hommes sur les femmes ou des aînés sur les jeunes. Le contenu souvent violent de leurs cosmogonies est à l’image de la violence interne de l’effort continuel déployé pour parvenir au consensus : un processus régulateur qui la médiatise.

Pour David Graeber, le capitalisme est avant tout fondé sur la relation entre le système du salariat et le principe de la recherche du profit pour le profit. Des penseurs autonomes italiens ont développé, au cours des deux dernières décennies, la théorie de ce qu’ils appellent « l’exode révolutionnaire ». Pour eux, la façon la plus efficace de s’opposer au capitalisme n’est pas la confrontation directe mais le « retrait actif », la défection massive de ceux qui souhaitent créer de nouvelles formes de communauté. Pourtant, les fameuses « utopies pirates » par exemple, enclaves libertaires regroupant esclaves en fuites, renégats britanniques et corsaires musulmans, ont toutes étaient englouties, y compris par l’Histoire. Comment neutraliser l’appareil d’État sans confrontation directe ? Peut-être s’effondrera-il tout simplement, privé progressivement de sa substance, à la fois par le haut (la croissance des institutions internationales) et par le bas (la décentralisation vers des formes d’auto-gouvernance au niveau local et régional).

Il signale que les premiers contrats de travail salarié connus concernent la location d’esclaves. Le capitalisme moderne n’est qu’un nouvelle version de l’esclavage.
Il définit la violence comme le recours préféré des personnes stupides. C’est la forme de stupidité à laquelle il est presque impossible de fournir une réponse intelligente. C’est aussi bien sûr le fondement de l’État.

« Question : Combien faut-il d’électeur pour changer une ampoule ?

Réponse : Aucun. Les électeurs ne peuvent rien changer. »

S’il n’y a pas de programme anarchiste, en guise de conclusion, il préconise toutefois un programme en trois points :

  • Annulation de la dette internationale,
  • Annulation de tous les brevets liés aux technologies de plus d’un an,
  • Suppression de toutes les restrictions à la liberté de déplacement et au choix de résidence dans le monde.

Il reprend le slogan des Industrial Workers of the Word (I.W.W.)* : « contre le système salarial » et leur revendication : « la semaine de 4 jours, la journée de 4 heures ».
Enfin, il revient sur le « premier cycle du nouveau soulèvement mondial », avec les municipalités autonomes du Chiapas par exemple. Il défend les prises de décisions par consensus, plus facile à mettre en place dans une communauté. « Voter est le moyen le plus sûr de garanti l’humiliation, le ressentiment, la haine : en fin de compte, la destruction des communautés. »

Renvoyé de l’Université de Yale après y avoir enseigné pendant 8 ans, sans explication mais après avoir pris part activement à Occupy Wall Street, David Graeber règle ici ses comptes avec la communauté universitaire, notamment les anthropologues, on l’aura compris, qu’il accuse de devenir un rouage de plus dans la « machine identitaire » mondiale plutôt que d’apporter leurs outils à ceux qui ont entrepris d’affronter l’élite mondiale. Au-delà de cette « petite querelle » à laquelle le lecteur aura sans doute du mal à s’identifier, on trouvera dans son argumentation nombre de réflexions et d’informations intéressantes.

* voir : JOE HILL : BREAD, ROSES AND SONGS

Bibliothèque Fahrenheit 451, 15 avril 2017

Lisez l’original ici.

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