Abolir la police… mais encore?
Définancer la police, désarmer la police, abolir la police… Même si ces positions demeurent très marginales, elles font leur chemin dans l’espace public. Cet essai en témoigne.
Depuis quelques années, les slogans antipolice se multiplient et l’idée de définancer la police a fait son chemin, même si cela demeure un courant marginal dans la population générale.
Les défenseurs du définancement proposent entre autres de diminuer les budgets alloués aux forces policières pour investir davantage dans la prévention, la santé mentale, le communautaire, etc. Les abolitionnistes, eux, souhaitent carrément la disparition de la police comme institution. C’est l’idée, radicale, que défend ce recueil de textes dirigé par Gwenola Ricordeau.
J’étais curieuse de découvrir les arguments et les réflexions des abolitionnistes, me disant que leurs critiques pourraient m’éclairer sur mes angles morts et peut-être alimenter ma réflexion. J’avoue que j’ai été désarçonnée. Par le titre d’abord : le chiffre 1312 est une référence directe au slogan ACAB, All cops are bastards. Puis par le ton de plusieurs textes, très dur. On dira que cette violence des mots n’est rien en comparaison avec la violence policière, mais je persiste à croire qu’on ferme ainsi la porte aux lecteurs curieux. Cela dit, il faut comprendre que les abolitionnistes s’inscrivent dans un courant utopiste et anarchiste qui rêve d’une société meilleure. Ils ne cherchent pas à améliorer ce qui est. Ils souhaitent tout effacer et recommencer.
Une réforme impossible
Raciste, colonialiste, sexiste… pour les abolitionnistes, la violence de la police comme institution est intrinsèque. Quant à son efficacité, elle ne serait qu’illusion : dans les faits, affirment les auteurs, la police ne contribue pas à améliorer le sentiment de sécurité, elle résout peu de crimes, elle n’a aucun effet sur la société outre générer de la peur et de la violence.
Sur certains points, les abolitionnistes n’ont pas tout faux. Certaines de leurs critiques ont frayé leur chemin dans la société et trouvent un plus grand écho aujourd’hui : qu’on pense aux notions de profilage racial ou de racisme systémique, des concepts qui sont mieux compris et débattus sur la place publique.
Cette critique de la police a d’ailleurs mené à un vent de réforme au cours des dernières années. Or, pour les abolitionnistes, la réforme de la police n’est pas envisageable, car elle ne fait que légitimer l’institution.
Un exemple, frappant, il faut le reconnaître, avancé dans le livre : le policier de Minneapolis coupable du meurtre de George Floyd en 2020 faisait partie d’un des corps de police les plus réformés aux États-Unis. Pour les abolitionnistes, c’est l’illustration de l’inutilité d’une telle réforme.
Cela dit, on ne peut pas extraire un corps policier de la société dans laquelle il évolue. La société américaine est, encore aujourd’hui, beaucoup plus violente que la société canadienne. C’est ce qui dérange dans ces textes : l’impression que la police qui y est décrite – violente, meurtrière, raciste jusqu’à la moelle – est éloignée de la police québécoise, même si cette dernière est loin d’être parfaite. Cela dit, je suis une femme blanche privilégiée. Un jeune homme noir issu d’un milieu défavorisé n’aurait peut-être pas la même lecture.
Un dialogue impossible
Si on accepte un instant l’idée des abolitionnistes mise de l’avant par ce recueil, une société sans police, par quoi la remplace-t-on alors ? Je n’ai pas trouvé réponse à cette question. Au fond, ce n’est pas très surprenant : les anarchistes estiment que la société est pleinement capable de s’autoréguler. Mais la nature a horreur du vide et on imagine déjà les groupes de vigilantes et autres justiciers autoproclamés qui voudraient faire régner l’ordre à leur manière. Face à cette solution de rechange, je préfère encore un corps policier, aussi imparfait soit-il, qui doit rendre des comptes à la population et apprendre à corriger ses dérives. Je crois à sa réforme et ce livre ne m’a pas fait changer d’idée.
Extrait
« Qu’on ait ou non des griefs personnels à son égard, détester la police est une position politique. Dans une société capitaliste, raciste et patriarcale, choisir le camp des opprimé-e-s, des exploité-e-s et des tyrannisé-e-s, c’est compter la police parmi ses ennemis. Cet antagonisme amène naturellement à penser l’abolition de la police et les manières de s’organiser pour lutter contre “nos ennemis en bleu”, pour reprendre le titre de l’ouvrage de Kristian Williams, mais aussi contre leurs complices et leurs alliés. Voilà en quelques mots l’objet de cet ouvrage, mais aussi une définition sommaire (sur laquelle on reviendra) de l’“abolitionnisme”. »
Qui est Gwenola Ricordeau ?
Gwenola Ricordeau est professeure associée en justice criminelle à la California State University, Chico et auteure de plusieurs essais, dont Pour elles toutes – Femmes contre la prison (Lux, 2019).
Nathalie Collard, La Presse, 12 février 2023.
Photo: DOMINICK GRAVEL, ARCHIVES LA PRESSE
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