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Détail de la couverture de l'édition grand format du livre «L'antifascisme».
12 octobre 2025

«À ce rythme, on se dirige vers une sorte de fascisme du XXIe siècle», Mark Bray, historien qui a fui les États-Unis

Professeur d’histoire à l’université Rutgers du New Jersey, Mark Bray a dû partir en Espagne suite à des menaces de mort. Visé pour avoir écrit un livre sur l’histoire du mouvement antifasciste, il témoigne des dangers encourus par certains universitaires aux États-Unis.

 

Le professeur d’histoire américain Mark Bray a été contraint de fuir les États-Unis suite à des menaces de mort. Il est la cible de conservateurs sur les réseaux sociaux depuis que Donald Trump a qualifié les antifa de « terroristes ». Mark Bray a lui-même été accusé de faire partie de ce mouvement, pour avoir publié il y a sept ans un livre sur l’histoire des groupes « antifa ». Il a donc quitté le pays avec sa femme et leurs deux jeunes enfants pour se réfugier en Espagne.

Tout d’abord, pouvez-vous expliquer ce qui vous a poussé à fuir en Espagne ?

C’est une longue histoire mais je vais vous donner une réponse courte ! Si je suis en Espagne, c’est parce que Donald Trump a signé un décret présidentiel classant le mouvement « antifa » comme organisation terroriste et que, depuis, j’ai été harcelé en ligne par des influenceurs d’extrême droite comme Andy Ngo et Jack Posobiec et j’ai subi des attaques en ligne de la part d’organisations d’extrême droite comme Turning Point USA. J’ai reçu de nombreuses menaces de mort, mon adresse a été publiée sur internet avec des informations sur ma famille, je ne me sentais plus en sécurité chez moi, ni dans mon pays. Donc j’ai décidé de déménager avec ma famille en Espagne.

Tout cela a duré combien de temps ?

Cela fait environ deux semaines mais au départ ce n’était qu’une poignée d’entre eux qui d’habitude répondaient à un post sur X de l’une de ces fameuses figures d’extrême droite ou à un article de Fox News par exemple. Et puis, c’est devenu de plus en plus fréquent…

Et vous sentiez-vous en danger avec votre famille ?

J’ai deux jeunes enfants et notre adresse a été postée en ligne pour que tout le monde puisse la voir. Parmi les menaces que j’ai reçues, l’une d’elles disait : « Je vais brûler ta maison et je te tuerai quand tu t’enfuiras ». Comment se sentir en sécurité avec ses enfants en bas âge dormant la nuit dans la chambre d’à côté quand on reçoit ce type de messages ? Et quand toute personne qui veut nous trouver peut le faire facilement… En particulier dans un pays où il y a autant d’armes lourdes… Ce n’était pas une situation dans laquelle je pouvais me sentir en sécurité. Donc nous pensons rester en Espagne jusqu’à l’été prochain. Et avec ma femme, qui est aussi professeure au département d’histoire à l’université Rutgers, nous assurerons nos cours à distance. Nous avons eu l’autorisation d’enseigner en ligne. Donc nous allons continuer comme ceci.

Qu’enseigniez-vous précisément en histoire aux États-Unis ?

Je suis spécialisé en histoire européenne contemporaine, en particulier celle de l’Espagne, c’est la raison pour laquelle je me trouve ici. Je m’intéresse aussi à l’anarchisme, au radicalisme politique et je donne un cours sur le terrorisme, ce qui est assez ironique puisque je suis accusé d’être un terroriste, simplement pour avoir écrit un livre.

Pour en revenir aux raisons qui ont poussé certaines personnes à vous qualifier « d’antifa », tout cela est dû au livre que vous avez publié sur le sujet ?

C’est exact. Tout cela est en raison d’un seul livre que j’ai écrit en 2017, donc il y a huit ans ! Il s’intitule « Antifa. The antifascist handbook » (en français « L’antifascisme. Son passé, son présent et son avenir » publié en 2024 aux éditions Lux) et il évoque l’histoire et la théorie de l’anti-fascisme, avec un focus sur les groupes antifas qui ont été créés après la Seconde Guerre mondiale dans différents pays. Mais je ne suis membre d’aucun groupe antifas ! Je ne l’ai jamais été ! J’ai simplement écrit ce livre en tant qu’universitaire.

Alors oui, je suis antifasciste dans le sens où je suis évidemment opposé au fascisme. J’ai milité par le passé pour d’autres causes. Mais toute cette détermination pour faire croire que je suis le leader de cela est ridicule ! Pas seulement parce que je n’ai jamais participé à ce mouvement mais aussi parce que les antifas ont une politique décentralisée, ce n’est pas juste une seule organisation comme Donald Trump essaie de les décrire.

Il n’est plus sûr d’enseigner aux États-Unis aujourd’hui, d’y être professeur ?

Tout dépend ce que vous enseignez et où vous l’enseignez. Il y a certaines matières avec lesquelles l’administration Trump n’a pas de problème, comme les sciences par exemple, même si, bien sûr, ils coupent les fonds. Mais c’est particulièrement compliqué dans des États comme la Floride et le Texas où certains sujets qui ne plaisent pas aux conservateurs n’ont plus le droit d’être enseignés, où des professeurs qui ont exprimé des idées de gauche ont été renvoyés – même si elles dataient d’il y a dix ans. Donc c’est devenu de plus en plus difficile et dangereux pour les professeurs, les journalistes et même les politiciens démocrates, maintenant que Donald Trump envoie la Garde nationale dans les villes démocrates… L’État du New Jersey (où il était installé, ndlr), est à majorité démocrate donc cela m’a en quelque sorte protégé de tout cela pendant un moment. Mais cela n’a pas empêché les menaces ni le harcèlement venant de l’extrême droite, ni de me sentir en insécurité. Cela devient de pire en pire très vite. C’est l’une des raisons pour lesquelles je suis parti, je craignais que cela devienne encore pire !

Vous inquiétez-vous pour l’avenir des États-Unis ?

Oui, plutôt. Je n’utilise pas le mot à la légère mais à ce rythme, si les choses ne changent pas, on se dirige vers une sorte de fascisme du XXIe siècle. Et j’enseigne un cours sur l’antifascisme…

Je voudrais aussi ajouter que Trump exagère la réalité lorsqu’il dépeint comme « antifa » toutes les personnes situées à sa gauche. Et comme nous pouvons le voir dans l’histoire de l’autoritarisme et du fascisme, ces dirigeants recherchent une situation d’urgence, puis une crise et s’ils n’en trouvent pas, ils la fabriquent. Donc c’est de l’instrumentalisation. Et j’en subis les conséquences.


Fiona Moghaddam, L’info de France Culture, France Culture, 12 octobre 2025.

Écoutez le reportage et lisez l’original ici.

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