L’étrange étranger: écrits exemplaires et éclairants
Figure peu connue de l’anarchisme, Mohamed Saïl a été un militant anticolonialiste et anticapitaliste remarquable. Né en 1894 en Algérie, alors colonie française, et décédé à Paris en 1953, il a contribué à de nombreux journaux anarchistes dont L’Éveil social et Le Libertaire. Une trentaine de ses écrits ont été compilés par Francis Dupuis-Déri et publiés chez Lux Éditeur l’automne dernier.
L’anthologie regroupe des textes, publiés entre 1924 et 1951, qui dénoncent le colonialisme français. L’introduction de l’ouvrage, rédigée par Francis Dupuis-Déri, détaille les contextes dans lesquels les textes ont été écrits et relate les faits importants de la vie de Mohamed Saïl. Les nombreuses notes de bas de page rendent facilement compréhensibles ces écrits du début du XXe siècle dont le contexte peut parfois nous échapper. Par tous les éléments factuels présentés dans l’introduction et dans les textes, ce petit livre est une mine d’informations sur les conditions de vie d’une majorité « d’indigènes » dans les colonies françaises d’Afrique du Nord. Mohamed Saïl dénonce en effet le code de l’indigénat, qui prive une partie de la population de droits, mais non pas de devoirs (dont celui du service militaire), et il exhorte les populations à militer dans des groupes anarchistes afin de changer le système. S’adressant aux Français de la métropole, il explique aussi les raisons pour lesquelles les Nord-Africains immigrent en métropole et encourage les ouvriers à lutter ensemble plutôt qu’à se diviser.
Cet ouvrage jette un éclairage différent sur la situation en Algérie pendant la colonisation et apporte des éléments essentiels à la compréhension de plusieurs phénomènes actuels, comme la situation des descendants des immigrants dans les banlieues parisiennes ou les revendications des Kabyles auprès du gouvernement algérien pour obtenir une certaine autonomie. En effet, comme l’explique Mohamed Saïl, le fonctionnement du gouvernement traditionnel kabyle repose sur un système de communes autogérées, semblables à celles prônées par les anarchistes de cette époque. Le retour à cette autonomie qui semblait si évidente aux yeux de Saïl reste toujours d’actualité.
Écrits dans un ton très revendicateur, ces textes constituent un bel exemple de militantisme engagé dans la parole mais aussi dans les actes. Les actions de Saïl auprès d’anarchistes espagnols pendant la guerre d’Espagne, comme militant dans la région parisienne ou comme déserteur de la guerre 14-18 lui ont valu plusieurs années de prison, mais n’ont pas atténué sa verve ni son désir de partager ses prises de conscience. Assurément un bel exemple de textes appuyés sur des faits et des exemples qui peuvent nous inspirer pour les luttes actuelles.
Isabelle Gallard, Le Mouton noir, 17 février 2021
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