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19 octobre 2020

Lux Éditeur: La révolution intranquille

Vingt-cinq ans d’édition, vingt-cinq ans de loyaux services, aurait-on envie de dire. Car avec les quelque trois cents essais à son catalogue, Lux Éditeur fait sa juste part pour brasser les idées, éclairer nos lanternes et contrer l’ignorance. Surtout, il possède ce que l’on appelle le courage de ses convictions. Et c’est tout à son honneur.

On ne sait pas si tout a commencé un soir de pleine lune, mais les loups hurlaient sûrement très fort dans les bois. « Nourrir l’esprit, inspirer les révoltes… », voilà le leitmotiv que s’est donné Lux Éditeur en ces temps où les sources de désinformation pullulent et qu’il est plus que nécessaire de pourfendre les idées reçues. On imagine la création de la maison faite dans l’urgence par une poignée d’individus convaincus de l’importance de la transmission et de la connaissance et voulant à tout prix préserver une mémoire qui, autrement, risquait d’être engloutie. Et c’est un peu ça. D’abord appelée Nadeau et Comeau du nom de ses deux fondateurs, « la maison est née dans un sous-sol encombré d’une vieille presse à platine, de casiers en caractères de plomb, mais surtout de vieux livres d’histoire sur les Indiens des territoires de l’Ouest, l’île d’Orléans, les Acadiens louisianais que Jean-François Nadeau, en compagnie de Robert Comeau, souhaitait sauver de l’oubli », raconte Mark Fortier, un des actuels éditeurs de Lux. Le premier livre qui connut un succès fut 15 février 1839 : Lettres d’un patriote condamné à mort, écrit par le chevalier de Lorimier, qui en était déjà à sa troisième édition quand le film 15 février 1839 de Falardeau fit sa sortie.

Au début des années 2000, les deux fondateurs partis investir d’autres terrains, les éditions changent de nom sous l’initiative de Florence Noyer, maintenant à la barre d’Héliotrope et responsable de Gallimard au Canada, qui propose le nom Lux, faisant référence à fiat lux, locution latine qui signifie « Et la lumière fut ». Le logo du chien qui ronge son os, dessiné par Robert LaPalme, est préservé pour maintenir une ligne conductrice, mais probablement aussi parce qu’il sied bien aux motivations de la maison qui se fait un point d’honneur de creuser ses sujets jusqu’à en retirer la substantifique moelle. Car à cette période, une ébullition intellectuelle est en cours. Normand Baillargeon, Marie-Eve Lamy, Pierre Vadeboncœur, Francis Dupuis-Déri entre autres ont à cœur de repenser la société et s’emploient à faire croître cette idée de livres engagés. En fait, c’est moins une idée qu’une nature profonde, un modèle qui fait appel aux idéaux que chacun chérit. C’est aussi là que les essais d’auteurs américains connus pour leur réflexion engagée, notamment Noam Chomsky et Howard Zinn, font leur apparition dans la famille.

Après quelques années, Lux s’émancipe encore un peu plus. « Au milieu des années 2000, notamment sous l’impulsion de Sébastien Mengin, la maison se professionnalise, explique Fortier. L’équipe s’agrandit, la production se stabilise, et les premiers très gros succès en librairie consolident sa base financière. » Les retombées de la biographie de Bourgault et le Petit cours d’autodéfense intellectuelle de Baillargeon permettent de viser le marché européen qui trouve de plus en plus de lecteurs. C’est aussi à ce moment que Mark Fortier fait son entrée au sein de l’équipe, dont il tient toujours les rênes avec Marie-Eve Lamy et Alexandre Sanchez, cette dernière étant à la tâche depuis Paris. Le trio éditorial s’accompagne de Nicolas Rouleau à la production, Martine Rose à la comptabilité et Caroline Perron qui est responsable des aspects commerciaux. « L’entreprise poursuit avec succès une pratique de gestion solidaire et coopérative, poursuit Mark Fortier. Celle-ci repose sur la participation pleine et entière de chaque membre de l’équipe dans le processus de planification et de décision de l’entreprise. » Cet éditeur aux flancs progressistes ne se contente donc pas de publier les valeurs qu’il soutient; il les met aussi en pratique.

Éditer envers et contre tout
C’est avec une intention de rester fidèle à son essence que Lux mène encore sa barque. Le plus grand défi est cependant de publier ce à quoi croit la maison en ayant quand même des restes d’égard pour les finances, question d’assurer sa survivance. Mais l’éditeur tient à ce que la grande majorité de son catalogue soit disponible, même si cela doit engendrer des pertes. Après tout, un esprit épris d’indépendance ne peut complètement être engoncé dans les contingences. Et certains meilleurs vendeurs viennent soutenir les autres, les premiers agissant à titre de piliers pour la santé de la maison, mais aussi de leviers pour poursuivre la mission d’éditer sans contrainte des thèmes pluriels. Parmi ces livres qui, en passe de devenir des classiques, remportent un grand intérêt auprès des lecteurs trônent Elles ont fait l’Amérique, Ils ont couru l’Amérique et Le peuple rieur de Serge Bouchard et Marie-Christine Lévesque, des livres historiques qui illustrent l’actualité et témoignent de l’avenir. Est aussi du nombre des plus populaires La médiocratie d’Alain Deneault qui traduit de manière édifiante le nivellement par le bas de nos sociétés nord-américaines. Résiste également en haut du palmarès de Lux Petit cours d’autodéfense intellectuelle de Normand Baillargeon, qui s’avère un des rares outils d’éducation pourtant essentiel à la formation d’une pensée critique.

Mark Fortier entend bien mater l’ignorance avec les titres de Lux, bien qu’il considère qu’elle ne serait pas la seule responsable de nos maux, la preuve étant qu’il existe bel et bien des idiots qui font preuve de génie, l’espèce la plus dangereuse selon lui. « N’empêche que c’est dans le vide de la pensée que s’installe le mal, disait Arendt, et qu’il y a dans chaque ouvrage militant, dans chaque essai critique, une invitation à prendre conscience des défis politiques et sociaux auxquels nous faisons face, donc une invitation à mieux comprendre notre monde », exprime l’éditeur qui espère des lecteurs curieux et exigeants.

Vingt-cinq années à sillonner les routes chaotiques de notre monde au pas d’une rébellion intranquille n’auront peut-être pas suffi à endiguer les inégalités, les supercheries, les lacunes et les hérésies qui nous extirpent du bon sens. Elles auront néanmoins certainement suscité l’émulation d’une communauté lucide ayant le désir de faire tomber les œillères qui nous rivent aux lieux communs et de briser les digues pour que se remettent à circuler nos ambitions de justice et de liberté.

Isabelle Beaulieu, Les Libraires, no 121, 19 octobre 2020

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