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20 octobre 2020

Rififi en librairie

Conflit de travail chez Raffin

Au début du mois, en revenant au boulot après trois jours dans la rue, les employés de la libraire Raffin de la Plaza St-Hubert ont été surpris de ne voir aucun exemplaire du livre Ténèbre sur la table du choix des libraires à l’entrée. Le roman primé de Paul Kawczak (tout comme son recueil de poésie et de nouvelles) avait été mystérieusement remisé dans un coin de l’arrière-boutique.

Selon les libraires, qui négocient depuis un an et demi leur convention collective, la direction de Raffin avait enlevé Ténèbre des rayons parce que son auteur a appuyé publiquement leurs revendications, au début du conflit de travail.

Mis au parfum de la chose, photo à l’appui, Paul Kawczak en a remis. Lundi sur sa page Facebook, il a publié un second message adressé aux propriétaires de Raffin. « Si vous commencez à retirer tous les livres dont les auteur-ices n’ont pas les mêmes idées que vous, vous allez avoir pas mal de place sur vos étagères… Une librairie sans mon roman fonctionne très bien, en revanche une librairie sans conditions de travail décentes, ça pose de gros problèmes. »

La Presse a joint Paul Kawczak en France, où il est en promotion de son premier roman salué par la critique à sa sortie l’hiver dernier. « Je ne réagis pas au retrait de mes livres, dit-il. À la limite, je trouve ça infantile comme geste. Je fais ça pour être solidaire avec le combat des libraires. Car je crains que le conflit de travail s’éternise. »

Paul Kawczak. Photo: Édouard Plante-Fréchette / Archives La Presse

«Un choix éditorial»

Jointe par La Presse, la copropriétaire de la librairie, Chantal Michel, dit ne pas avoir mis à l’index Ténèbre, car le livre est offert en ligne et… si le client le demande en succursale. « J’en ai vendu moi-même un exemplaire samedi dernier, dit-elle. Or, ce n’est pas un auteur qui va décider de mon choix éditorial comme propriétaire, ni me dire quoi mettre sur le plancher de mon commerce. Nous sommes au cœur de la grosse saison littéraire. Il y a des milliers de parutions qui sortent chaque année. C’est impossible de placer tous les titres sur les rayons. »

Chantal Michel nie avoir retiré le roman des tablettes en réaction à la prise de position de l’auteur sur les conditions de travail chez Raffin. « Je ne négocie pas sur la place publique. Mais je trouve dommage, aberrant, qu’un auteur utilise une tribune pour nuire à une entreprise. Je suis responsable des finances et de la gestion de la librairie. Pas Paul Kawczak. Est-il au courant du contexte de gestion ? On a perdu des centaines de milliers de dollars depuis le début de la pandémie, en plus des travaux sur la Plaza St-Hubert. »

La porte-parole du Syndicat des employés de la succursale Raffin Plaza St-Hubert, Frédérique Saint-Julien Desrochers, s’étonne de voir la direction parler de pertes financières. « En entrevue dans les médias après le confinement, Mme Michel a affirmé que les ventes en ligne ont explosé de 1000 % ! Elle a avancé que les affaires vont bien depuis la restructuration des ventes pour affronter la pandémie. »

Rejet des offres patronales

En assemblée dimanche soir, les employés de Raffin Plaza St-Hubert ont rejeté à l’unanimité les plus récentes offres déposées par la direction. « On est loin ici des augmentations qualifiées de substantielles par l’employeur, estime la porte-parole du syndicat. Elles sont quelques sous au-dessus du salaire minimum [pas plus de 15 $ de l’heure pour les plus anciens libraires]. De plus, il y a un seul poste à temps plein. Les libraires ont des diplômes universitaires, souvent des maîtrises. Ils méritent reconnaissance pour les conseils qu’ils prodiguent aux lecteurs. C’est la force d’un libraire indépendant. »

Vendredi dernier, un autre acteur du milieu littéraire, Lux Éditeur, a publié un message de soutien aux syndiqués de Raffin sur Facebook. « La librairie est un lieu culturel important dans une société démocratique, et le métier de libraire exige une grande culture générale, mais il est sous-payé et on en méconnaît l’importance. Les maisons d’édition doivent beaucoup à leur passion. C’est pourquoi aucun éditeur ne peut être indifférent au sort qu’on leur réserve. »

Reste à voir si leur expertise et leur amour des livres peuvent faire le poids dans les négociations avec leur employeur.

Luc Boulanger, La Presse, 20 octobre 2020.

Photo: Chantal Michel, copropriétaire de la librairie Raffin. Martin Chamberland / Archives La Presse

Lisez l’original ici.

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