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5 octobre 2020

«Des témoignages forts de la lutte contre la colonisation»

Mohamed Saïl (1894-1953) fut toute sa vie un ardent militant contre le colonialisme et le capitalisme. Déserteur lors de la Première Guerre mondiale, engagé dans la colonne Durutti pour combattre le fascisme et défendre la révolution, il n’a cessé d’écrire pour la presse anarchiste en France et en Algérie. Francis Dupuis-Déri a rassemblé ici une trentaine de ses articles, rédigés de 1924 à 1951.

À de nombreuses reprises, notamment dans les colonnes du Libertaire et du Flambeau, il dénonce les conditions imposées aux « indigènes algériens », en particulier par le Code de l’indigénat : « “Tous les hommes naissent libres et égaux en droit.“ C’est la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen qui raconte cela. Mais il est facile de prouver que cette égalité n’a jamais existé pour nous, indigènes algériens. Nos droits, les voici, tels que les comprennent les canailles sanguinaires, les pirates rapaces qui, sous prétexte de colonisation, nous ont apporté les soi-disants “bienfaits“ de leur “civilisation“. Ils consistent à voir les terres sur lesquelles nous sommes nés, que de père en fils nous fécondions de notre labeur, qui nous donnaient de quoi vivre librement et fièrement, accaparées par nos “bienfaiteurs“. […] Nous avons un autre “droit“ que ne nous contestent pas, au contraire, les entrepreneurs de charniers patriotiques, c’est celui d’aller crever sur les champs de bataille pour la défense de la France si généreuse. » Il dénonce également « toutes les vexations que la fantaisie des administrateurs et des bureaux s’acharne » à leur imposer, ces « méthodes de la colonisation » employées par les fonctionnaires de la République française, finalement pas moins odieuses que le fascisme italien. La condition de l’indigène qui travaille en France s’avère meilleure puisque celui-ci trouve assistance auprès des autres Algériens en arrivant et tombe dans une exploitation « moins sauvage » que celle qu’il subit dans son pays. Aussi conteste-il les dispositions effectives au 1er octobre 1924, qui entendent limiter les départs pour la France, et fait sien l’avertissement d’un Algérien : « Prenez garde qu’un jour les parias en aient marre et qu’ils ne prennent les fusils que vous leur avez appris à manier pour les diriger contre leurs véritables ennemis, au nom du droit à la vie, et non comme autrefois pour une soi-disant patrie marâtre et criminelle. » Les mots peuvent changer, le ton reste toujours aussi vindicatif et incisif, le sujet revient régulièrement comme un leitmotiv.

Il s’en prend plus spécifiquement à la colonisation, rappelant notamment ce que fut la conquête de l’Algérie. « L’histoire de toutes les colonisations nous l’apprendra sans conteste : elle se résume à un servage intensif ; c’est le vol, la piraterie, le viol qui l’accompagnent toujours ! » « Les indigènes soumis sont des enfants, de grands enfants qui vivaient librement et simplement, avec leurs traditions. Ils naissaient et mourraient hors des trompeuses complications des sociétés modernes. Et voilà que, sous prétexte de les coloniser, on les vole, on les pille, on les dépouille. » Quand le soldat arrive, « au nom de la civilisation, il brûle, il massacre, emporte. Il affame les vieillards quand il ne les tue pas ; il prend les femmes pour son plaisir ; il s’intéresse aux enfants quand il ne les souille pas de sa bave soldatesque. »
« Que nous a donc apporté cette France si généreuse dont les lâches et les imbéciles vont partout proclamant la grandeur d’âme ? » :

 

  • « La presque totalité de la population indigène vit dans la misère physique et morale la plus grande. »
  • Toute presse indigène est interdite, toute association vite dissoute. Il ne subsiste aucune possibilité de défense.
  • Les indigènes sont astreints à un service militaire de deux ans (trois selon certains articles), alors que « les fils d’Européens ne font plus que dix-huit mois ».
  • Ils n’ont pas de droit de vote.
  • Toutes les écoles indigènes ont été anéanties, remplacées par des écoles françaises en nombre ridiculement insuffisant.
  • La colonisation française n’a construit qu’une seule ligne de chemin de fer, avec une seule voie. Point de service postal pour les indigènes, les routes et les ponts sont très rares.

Dans le cadre de sa « campagne de débourrage de crâne », il rapporte aussi plusieurs récits de militaires français du temps de la conquête, effectivement fort édifiants.

Régulièrement, il tient à se démarquer du Parti communiste et refuse le soutien du Secours rouge, coupable à ses yeux « d’une soumission servile au gouvernement de Moscou, qui torture et emprisonne les meilleurs révolutionnaires dans les bagnes de Russie », alors qu’il avait affiché son soutien lors d’un de ses séjours en prison. « Je ne tolérerai jamais que ma défense soit prise par les enfants de choeur du fascisme rouge qui sévit en Russie. » Il rappellera aussi les exactions du ministre communiste de la Guerre Tillon, sous les balles duquel tombèrent 10 000 fellahs dans le Constantinois en 1945.

Lorsque le droit de vote leur est accordé, il prévient que « voter c’est capituler » et que « l’émancipation des peuples coloniaux ne sera l’oeuvre que des colonisés eux-mêmes ». Il rappelle comment l’Assemblée algérienne a adapté la Sécurité sociale agricole et bien d’autres « réformes » réalisées en leur nom.

Plusieurs articles sont consacrés au peuple kabyle. « Les Kabyles sont foncièrement libertaires, réfractaires à tout militarisme. Dans leur pays natal, ils pratiquent le libre-échange et la solidarité sur une vaste échelle. Le droit d’asile est sacré pour eux. » « Jusqu’à l’arrivée des Français, jamais les Kabyles n’ont accepté de payer des impôts à un gouvernement, y compris celui des Arabes et des Turcs dont ils n’avaient embrassé la religion que par la force des armes. » « Le Berbère est très sensible à l’organisation, à l’entraide, à la camaraderie, mais fédéraliste, il n’acceptera d’ordre que s’il est l’expression des désirs du commun, de la base. » Ils se gouverneront eux-même, à la mode du village, du douar, sans députés, ni ministres qui s’engraissent à leur dépens ». « Il n’y a jamais eu d’ “État central berbère“, mais des “collectivités fédéralistes“ contre lesquelles se sont brisées tous les conquérants, des Romains aux Espagnols, sans oublier les Arabes et les Turcs, et sûrement demain les Français. » « Je suis convaincu qu’un jour proche viendra où mes compatriotes découvriront leurs cousins germains que sont les anarchistes. Leurs conceptions se rapprochent beaucoup, et tous ensemble ils feront rendre gorge aux affameurs et aux oppresseurs d’où qu’ils viennent. »

Dans L’Espagne antifasciste, il témoigne directement du front, près de Saragosse, « face à la canaille fasciste tremblant de frousse ». Et dans Le Libertaire, il appelle à une grève générale insurrectionnelle, plutôt que des meetings et des manifestations, en réponse à Blum qui refuse de livrer des armes. Il avertit aussi que Staline en envoie à Valence mais les refuse à Barcelone, de peur que les anars ne s’en servent pour consolider la révolution prolétarienne.


Belle découverte d’un militant rarement évoqué ou cité. Ses paroles et sa colère restent des témoignages forts de la lutte contre la colonisation.

Bibliothèque Fahrenheit 451, 5 octobre 2020

Lisez l’original ici.

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