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18 février 2013

Recension: B. Franklin, Avis nécessaire à ceux qui veulent devenir riches

La première édition des mémoires de Benjamin Franklin paraît à Paris, une année après sa mort, sous le titre de Mémoires de la vie privée. Il semble important de discuter de plusieurs points avant d’amorcer la lecture même de l’ouvrage. Tout d’abord, ces mémoires sont inachevées et cela peut expliquer le choix éditorial de David Ledoyen d’adjoindre aux présents souvenirs un ensemble d’ « œuvres morales et politiques » qui vient accompagner, continuer et clore les idées développées dans les Mémoires. Plus pertinent encore que la sélection même des textes présentés dans ce livre, le choix du titre de l’un d’eux pour présenter l’ensemble de l’ouvrage vient comme orienter la lecture des mémoires. Nous ne déplorons pas du tout cette orientation de lecture induite sur les mémoires par cet « avis nécessaire à ceux qui veulent devenir riches ». Nous pourrions de surcroît dire qu’il détermine à une meilleure compréhension de l’objectif de ces mémoires, notons cependant qu’il n’est pas là pour refréner les diverses autres lectures possibles des propos de Benjamin Franklin. Le lecteur comprendra de facto le sous-titre livré par le traducteur : « Mémoires et propos au fondement de l’Amérique marchande ». Par un autre biais il est nécessaire de saluer la pertinence de David Ledoyen qui en livrant l’ensemble du plan des Mémoires (des parties rédigées ou non) permet aux lecteurs d’apprécier l’ensemble de l’œuvre jusque dans son inachèvement. C’est par ailleurs un moyen pour le lecteur d’appréhender la vision que Benjamin Franklin avait de sa vie, des événements qui, à ses yeux, semblent importants et de ceux qu’il occulte ou aurait voulu occulter.

Benjamin Franklin est assurément un personnage haut en couleur, les visages multiples qu’il donne à voir tout au long de sa vie (et par ses souvenirs ici rassemblés) – son insatiable curiosité et l’éclatante intelligence dont il fait preuve dans de multiples domaines (scientifiques, littéraires ou politiques) tout autant que par sa vision englobante du monde – font de lui une « figure paradigmatique de la culture américaine » (Jean Béranger). Ses mémoires ne permettent pour autant pas d’apprécier l’ensemble de son réseau de connaissances. Nous voyons trois niveaux de destinataires dans les Mémoires de ce « Père de la Révolution ». Le premier semble être l’auteur lui-même, nous soulignons le fait que le vocabulaire usité dès les premières pages revêt un caractère ambivalent qui voit alterner, par exemple, des termes tels que « vanité » et « humilité » pouvant conduire à croire à la pratique auto-persuasive utilisé par Benjamin Franklin pour tenter de se rallier à ses propres thèses. Toutefois, l’ « incipit » est fait en une adresse à son fils auquel il offre ses souvenirs afin que ce dernier puisse y voir quelque exemple de la « bonne vie » de son père. Dans son autobiographie Benjamin Franklin – s’étant posé ainsi en modèle de réussite sociale et en étalon de l’exemplarité dans la conduite de son quotidien comme de ses affaires – présente sa vie comme un modèle destiné aux générations futures, témoignant du désir de servir à la construction d’esprits libres et possédant un esprit de création et d’initiative en capacité de servir à la proche communauté mais aussi à la nation tout entière. Ainsi le trait qui filtre le plus de ses propos est la nécessité de mener une vie vertueuse à l’écart de tous les excès et dans la préservation des plus pures valeurs morales.

Les Mémoires de Benjamin Franklin s’imposent également comme une relation d’une véritable « success story » (Christian Lerat). Nous avons vu précédemment que l’auteur s’affirmait en modèle vertueux, en outre les textes adjoints par David Ledoyen font réellement sens et apportent un éclairage pertinent dans l’image d’une société qui pousse, déjà, à l’entreprise personnelle et à l’initiative individuelle dans les affaires. En cela l’Autobiography de Franklin trouve un véritable écho dans ces États-Unis post-révolutionnaires et une postérité certaine jusqu’à nos jours. Le bénéfice que nous pouvons tirer des œuvres morales et politiques ayant été adjoint par le traducteur est grand et leur lecture s’avère être un complément riche d’information venant adroitement compléter les propos de Benjamin Franklin. Ce corpus vient souligner et conforter les positions défendues par l’auteur dans ses conceptions de la société néo-libérale et se présente comme un véritable ferment de la conception d’une morale sociétale teintée d’un intense pragmatisme et d’une religiosité aux accents particuliers. En outre, quelques considérations de Benjamin Franklin sur la traite négrière ont particulièrement retenu notre attention du fait du parallèle opéré entre celle orientale, avec l’exemple algérien, et occidentale ainsi que l’évocation en toile de fond de la progression de la cause abolitionniste.

Toute somme faite, la lecture des Mémoires ainsi que du corpus de textes adroitement adjoint par David Ledoyen apporte un éclairage des plus pertinents sur l’histoire de l’Amérique moderne. Nous comprenons à la lecture de cet ouvrage la teneur et la nature des relations que les Étasuniens d’aujourd’hui entretiennent avec l’État, la religion, le monde des affaires et la politique. La structuration des États-Unis contemporains s’affirme ici souvent dans la contradiction et l’ambivalence mais le lecteur restera assurément surpris de la modernité et de la pérennité de la pensée développée par Benjamin Franklin.

Simon Laporte, « Benjamin Franklin, Avis nécessaire à ceux qui veulent devenir riches. Mémoires & propos au fondement de l’Amérique marchande », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, 18 février 2013.

Voir l’original ici.

 

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