Mise en pièces d’identitaire
Le sociologue Mark Fortier a choisi de passer une année auprès d’un homme qu’il n’apprécie guère: son compatriote québécois Mathieu Bock-Côté. Après tout, note-t-il, MBC est un des produits qui s’exportent bien en France. Et pas n’importe où! Dans les pages du Figaro, celles de Valeurs actuelles, lors de conférences et en librairie. Une sorte de Finkielkraut sans le côté irascible ou un Zemmour qui serait fréquentable. Autant dire que la droite conservatrice en raffole. Dans Mélancolies identitaires, l’auteur décortique une pensée, selon lui, sommaire. Des notions «flamboyantes» sans définition, l’évocation des grands penseurs: «Chaque jour [MBC] dépose au tribunal de l’histoire de nouvelles pièces à conviction attestant du “fanatisme” et du “délire” de ses meilleurs ennemis», les progressistes.
Mark Fortier a consommée l’œuvre «bock-côtienne» comme Morgan Spurlock le McDo dans Super Size Me. Il souligne une constance: l’importance de la figure du chef, et deux absences: le capitalisme, qui n’est jamais un sujet, et le peuple, dont il veut se faire l’écho sans jamais lui donner une réalité. MBC critique le progressisme, la gauche, le délitement de l’identité. «On aura attendu trente ans pour qu’un conservateur québécois traduise et impose à la langue française les prothèses langagières de la droite américaine, pour que nous puissions nous aussi lancer le mot “progressiste” comme un crachat.» Mark Fortier dénonce les dangers de l’abaissement de la parole publique et la tendance au verbiage dont participe MBC. «On s’inquiète non sans raison de la prolifération des fausses nouvelles depuis l’élection de Donald Trump. Peut-être devrait-on s’alarmer de la fragilité des mots dans une époque où la réalité semble aspirée par les discours. On ne pourra pas éternellement tourner les mots du monde contre le monde sans en payer lourdement le prix.» Et c’est sans doute la réflexion la plus intéressante de ce livre.
Aurélie Marcereau, Le Nouveau Magazine littéraire, no 25, janvier 2020.