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18 juin 2019

Assi – Le territoire

Le territoire, c’est la source de l’identité innue. La philosophie du peuple en découle.

Les Innus ont fait corps avec leur territoire pendant des milliers d’années, révèle le coordonnateur du musée Shaputuan Lauréat Moreau. Ils ont nommé chaque lac, chaque rivière, chaque portage. C’est cet espace à la fois réel et imaginaire qui a dicté leurs déplacements.

Photographie d’Innus prise près de la rivière Godbout, probablement à la fin du 19e siècle. Photo : Archives nationales du Canada / Jules-Ernest Livernois

Nomades

Selon l’anthropologue Serge Bouchard, le peuple innu représentait l’archétype d’un peuple nomade : «Ils possédaient le génie du transport et de l’empaquetage, ils tenaient feu et lieu là où ils l’entendaient, le temps de monter le campement, de le défaire et de tout remballer pour s’en aller ailleurs», rapporte-t-il dans le livre Le peuple rieur.

Les ressources étant dispersées sur le territoire, les Innus se déplaçaient en fonction des variations saisonnières du gibier.

Lauréat Moreau explique que l’automne s’avérait la meilleure saison pour remonter à l’intérieur des terres. «La gestation des animaux était terminée, les animaux étaient prêts, ils avaient grandi», précise-t-il en évoquant la chasse au petit gibier.

Mais la cause première de ce déplacement était atik, le caribou. Il ne fallait surtout pas manquer sa migration. C’était une question de survie pour son peuple.

Une fois les grandes chasses communautaires terminées, les Innus plongeaient dans l’hiver. «C’est une période où les animaux se faisaient plus rares. Ils étaient là, mais sortaient peu parce qu’il faisait très froid», expose Lauréat Moreau. Les Innus posaient alors des collets pour récupérer les belles fourrures et pêchaient sur la glace.

Au printemps, à la fonte des glaces, il fallait s’en retourner, souligne Lauréat Moreau. Les Innus remballaient leurs affaires, préparaient leurs canots et descendaient vers le sud.

Comme à l’automne, le trajet prenait un mois et demi. Au gré de ce périple, la faune se réveillait, les oiseaux migrateurs pointaient à l’horizon. «Aujourd’hui encore, quand la belle saison s’en vient, on a hâte de manger de l’outarde. Il y a encore des choses qui émanent des traditions», remarque Lauréat Moreau.

Michel Mollen, un chasseur d’outardes Photo : Radio-Canada

L’été, c’était le temps des rencontres avec les autres familles sur le littoral, des grandes pêches collectives, des célébrations et de la cueillette des petits fruits, poursuit-il.

Encore aujourd’hui, le mode de vie traditionnel innu laisse une empreinte. «On dirait qu’il y a quelque chose qui nous appelle à aller dans le territoire. Ça fait encore partie de nos gènes. On essaie de partir à l’automne, pas loin nécessairement, mais pour être en contact avec la nature encore une fois», mentionne-t-il.

Des traces du mode de vie ancestral dans la langue

La langue innue est ancrée dans l’espace, affirme Lauréat Moreau. Elle révèle l’interaction entre les Innus et leur environnement. Certains mots liés aux mois de l’année en témoignent.

Le mois de mars, Uinashku-pishim, signifie le mois de la marmotte. Avril, Shiship-pishim, le mois du canard. Mai, Nissi-pishim, le mois de l’oie. Le mois de juin, Uapikun-pishim, est celui des fleurs tandis que juillet, Shetan-pishim, est le mois de la fête de Sainte Anne, une fête religieuse très importante chez les Innus.

Si la langue est encore intimement liée aux activités ancestrales, un grand pan de l’innu est menacé, faute d’être parlé par un nombre suffisant de personnes. Les aînés disparaissent et emportent avec eux, des mots, des traditions, des coutumes.

«Aujourd’hui encore, quand un aîné qui a vécu en forêt discute avec un jeune qui a grandi en ville, il y a un choc», s’attriste-t-il. Si l’aîné parle la langue de l’intérieur des terres, le jeune ne le comprendra pas.

Des jeunes innus participent à une excursion à l’intérieur des terres ancestrales. Photo : Radio-Canada / Mélodie Jourdain

C’est pourquoi aux yeux du muséologue, il est primordial de retourner et d’amener les jeunes à l’intérieur des terres. On ne peut pas concevoir la culture innue sans le territoire, tranche-t-il. Il faut transformer ces grands espaces en lieux d’enseignement.


Lexique

Le territoire

  • Assi – Territoire
  • Nutshimit – À l’intérieur des terres
  • Minashkuau – La forêt
  • Utshu – La montagne
  • Massek – Plaine
  • Nipi – Lac
  • Shipu – Rivière ex: la Rivière Romaine, Unamen Shipu
  • Paushtik – Chute, rapide
  • Pakatakan – Portage
  • Kushpu – Il monte à l’intérieur des terres
  • Unaitsheu – Trappe
  • Nataun – Chasse
  • Ut – Canot
  • Nakuakanitsheu – Il pose des collets
  • Kusseu – Il pêche
  • Anapi – Un filet

Les mois de l’année

  • Tshishe-pishim – Janvier (le grand mois)
  • Epishiminishkueu, Katakuapetshishishit – Février
  • Uinashku-pishim – Mars (le mois de la marmotte)
  • Shiship-pishim – Avril (le mois du canard)
  • Nissi-pishim – Mai (le mois de l’oie)
  • Uapikun-pishim – Juin (le mois des fleurs)
  • Shetan-pishim – Juillet (le mois de Ste-Anne)
  • Upau-pishim – Août (le mois où les jeunes canards prennent leur envol pour la première fois)
  • Ushkau-pishim – Septembre (le mois où caribous mâles frottent leurs bois pour retirer leur velours)
  • Uashtessiu-pishim – Octobre (le mois où les feuilles deviennent jaunes)
  • Takuatshi-pishim – Novembre (le mois d’automne)
  • Pishimuss – Décembre (le petit mois)

La météo

  • Kun – Neige
  • Tshinutan – Il pleut
  • Nutin – Il vente
  • Mishkumi – La glace
  • Takau – Il fait froid
  • Tshishiteu – Il fait chaud
  • Pishim – Le soleil
  • Pishim – La lune
  • Kashkuan – Les nuages
  • Minu-tshishikau – Il fait beau

Bénédicte Filippi, Radio-Canada, 18 juin 2019

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