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23 août 2018

Entretien avec Vittorio Giacopini

Avec Vie extraordinaire du révolutionnaire redouté de tous les gouvernements et polices du royaume d’Italie, Vittorio Giacopini nous entraîne à la rencontre quasi intime de la pensée d’Errico Malatesta, grâce à son récit construit comme un scénario. C’est un documentaire sur l’itinéraire d’un homme, qui n’est pas une icône, non plus l’« apôtre de la liberté », dont il est fait mention sur l’inscription apposée au fronton de l’immeuble, où il a vécu en prisonnier la fin de sa vie. Évidemment, le terme d’anarchie ne figure pas sur la plaque officielle ; anarchie, cela fait désordre, alors qu’apôtre, ça passe…

Le livre de Vittorio Giacopini n’est ni un récit dystopique, ni une biographie, non, c’est une aventure politique, philosophique, littéraire à travers le parcours de vie de l’un des anarchistes les plus marquants de l’histoire italienne. Partant des dernières années de la vie de Malatesta, de ses réflexions que l’on pourrait qualifier peut-être de tristes ou même d’amères, mais qui sont en fait d’une acuité extrême et renvoient avec une force troublante à l’actualité, l’auteur remonte le temps, par flash backs, sur les épisodes essentiels de l’histoire anarchiste et de l’engagement de Malatesta. Il décrit en parallèle le contexte social et politique de l’époque, les rencontres, les luttes, les disputes, les désaccords, les échecs aussi qui vont se solder par l’émergence du fascisme dans l’Italie de l’après-Première Guerre mondiale.

Il n’est pas question de héros ici, bien que les actes soient souvent impressionnants par leur audace et leur courage, c’est plutôt une longue et profonde réflexion sur l’évolution du mouvement anarchiste, sur la révolution, sur le « pourquoi » et le « comment » faire aboutir le temps des pauvres, des exclu.es et des laissé.es pour compte.

À la lecture de Errico Malatesta. Vie extraordinaire du révolutionnaire redouté de tous les gouvernements et polices du royaume d’Italie, on est tenté de voir dans l’ouvrage de Vittorio Giacopini un travail de journaliste d’investigation allié à un véritable talent de conteur. Dans cette trame de réminiscences croisées, Giacopini choisit une phrase de Malatesta, forcé alors à l’inactivité par la police fasciste, une phrase qui ponctue les péripéties du récit : « On ne va pas là où on veut, comme toujours, mais “là où la route t’emmène” ». Cette phrase est en quelque sorte le fil d’Ariane dans le défilement des événements et l’enchevêtrement entre temps, espace et mémoire de cet homme piégé par la maladie et le fascisme.

« La révolution ne s’impose pas » disait Malatesta, l’agitateur, « elle se provoque » et « s’improvise ». Pourtant, au congrès de l’Internationale, en août 1896, « il avait vu un programme entier partir en fumée et les anarchistes s’étaient retrouvés mis à l’écart comme des lépreux, relégués dans un coin. […] Pour tout dire, ils s’étaient fait entubés. Dans son ensemble, le gotha du mouvement ouvrier international semblait d’accord sur un seul point : pas d’anarchistes ! Maintenant que Marx et Bakounine étaient morts, le vieux duel était devenu une guérilla à visage découvert, définitive. Ce mantra absurde — la “conquête du pouvoir” à tout prix, la voie parlementaire, le légalisme — devenait la hache qui s’abattait sur les franges les plus rétives, qui les liquidait. » Malgré cela, Malatesta pensait que
« l’important avait été d’essayer, en fin de compte ; avoir un but, un objectif. »

La propagande par le fait ? «  Le grand rêve, c’était une chose ; l’action extrême, quotidienne, la stratégie ou la tactique de la “propagande par le fait”, c’en était une autre. Son appel à l’action illégale, la seule à être juste, pouvait aussi être mal interprété ou trahi, compris autrement, poussé trop loin. » Parce que « ce n’est pas avec la haine qu’on rénove le monde. »

Errico Malatesta. Vie extraordinaire du révolutionnaire redouté de tous les gouvernements et polices du royaume d’Italie : sans doute « la légende [est-elle] plus vraie que l’histoire », sans doute l’approche de Vittorio Giacopini permet-elle de mieux comprendre en revisitant l’expérience d’un compagnon qui déclarait : l’« anarchie veut dire non-violence, non-domination […] Ce qui importe le plus, c’est que le peuple [apprenne] à penser et agir librement. Et c’est à cette œuvre de libération que les anarchistes doivent se consacrer. »

Chroniques rebelles, 23 août 2018

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