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20 mai 2019

La SAQ peut faire mieux, sans qu’on ait à libéraliser

Le 11 mai dernier dans La Presse, Frédéric Laurin réitérait sa proposition d’approfondir la libéralisation du marché de l’alcool au Québec. Cette proposition a l’avantage d’avoir remplacé l’idée de complète privatisation qui excitait la droite économique depuis des lustres. Cependant, elle a le défaut d’être difficilement applicable et de ne pas changer grand-chose pour la plupart des clients de la Société des alcools du Québec (SAQ).

Au Québec, le marché de l’alcool se partage entre un monopole public et plusieurs acteurs privés dont les épiceries, les dépanneurs, les restaurants et les agences d’importation de vin. M. Laurin propose d’ajouter un nouvel intervenant : les petits cavistes. Il souhaite éviter, à juste titre, qu’un oligopole de grandes épiceries privées remplace le monopole public. Selon lui, un espace de vente réservé à ces nouveaux acteurs apporterait de la concurrence, de la diversité et de l’expertise au secteur de la vente d’alcool au Québec.

Compliqué et sans bénéfice clair

Suivant cette logique, il faudrait modifier le monopole de la SAQ pour permettre la création d’une telle exception tout en s’assurant que les cavistes en question restent « petits ». Comment trouver un équilibre acceptable ? Si les cavistes ne peuvent posséder que leur boutique pour éviter la formation de grandes chaînes, on restreindra l’accès au capital ; en limitant plutôt le nombre de succursales ou la taille de celles-ci, on réduira les flux de revenus. Les « petits cavistes » auront tôt fait de reprocher au critère de sélection d’être ce qui contraint – voire, empêche – le succès de leur entreprise.

C’est sans compter la Loi sur les importations de boissons enivrantes fédérale qui interdit à toute entité (entreprise ou personne) autre que les gouvernements provinciaux d’importer de l’alcool. Il faudra donc que les cavistes de M. Laurin passent par la SAQ et son actuel système d’importation privée. La liberté d’importation qu’il fait miroiter serait ainsi tout autant balisée qu’aujourd’hui.

Mais qu’est-ce que tout ça changerait pour le Québec ? M. Laurin l’admet d’emblée : cette libéralisation aurait un impact « très limité » sur le chiffre d’affaires de la SAQ. Pourquoi ? Parce que de telles boutiques spécialisées ne courraient pas les rues : on en trouverait une petite poignée à Montréal, à Québec et peut-être dans certains centres régionaux. Dans les régions où le profit ne serait pas au rendez-vous, il n’y aurait aucun gain à cet approfondissement de la libéralisation.

La SAQ pourrait le faire

Dans l’ouvrage Du vin et des jeux : le virage commercial de la SAQ et de Loto-Québec, paru en avril dernier, nous montrons que d’autres options sont possibles. D’abord, la SAQ a évolué à travers son histoire et a su s’adapter aux besoins de sa clientèle. Ainsi, certains problèmes bien réels de la SAQ peuvent être réglés par la SAQ elle-même, mais pour cela, il faudrait lui imposer une transformation majeure.

La priorité devrait être de concentrer la mission de la SAQ sur l’offre de vin de qualité à bon prix pour les Québécois et non sur le fait d’être une vache à lait pour le gouvernement. Pour ce faire, le dividende perçu par la SAQ devrait être transformé en taxe que le gouvernement pourrait par la suite ajuster selon sa convenance. La SAQ utiliserait désormais ses bénéfices strictement pour répondre à la mission qu’on lui avait donnée lors de sa mise en place en 1971 : « mettre à la disposition des consommateurs l’éventail des produits désirés, de la meilleure qualité possible, au moindre coût possible ».

Cette transformation permettrait que la SAQ délaisse ses stratégies commerciales (notamment publicitaires) actuelles qui sont nuisibles aux consommateurs. Elle pourrait aussi se consacrer à concevoir de nouvelles sections à ses succursales ou de nouvelles enseignes qui correspondent davantage aux besoins changeants de la population. Qui sait, une de ces enseignes pourrait peut-être même s’appeler « cavistes » pour plaire à M. Laurin. Enfin, la SAQ pourrait aussi donner plus d’autonomie aux employés de ses succursales tant en ce qui a trait à la disposition des produits, à la sélection offerte qu’au choix des dégustations à proposer. Elle prendrait alors la direction d’une régionalisation qui permettrait de mieux intégrer les produits d’ici.

La SAQ a changé pour le mieux par le passé, elle peut encore le faire aujourd’hui.

* Simon Tremblay-Pepin est professeur à l’Université Saint-Paul et chercheur associé à l’IRIS ; Bertrand Schepper-Valiquette est chercheur à l’IRIS. Tous deux sont auteurs de Du vin et des jeux : Le virage commercial de la SAQ et de Loto-Québec (Lux éditeur).

La Presse, 20 mai 2019

Photo: David Boily / La Presse

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