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19 avril 2019

L’article à lire pour comprendre ce qu’est vraiment un black bloc

Mobilisation contre la loi Travail, 1er-Mai, « gilets jaunes »… Des black blocs font régulièrement incursion dans les manifestations. Mais qui sont et que veulent ces militants d’ultragauche vêtus de noir ?

Ils sont la bête noire du gouvernement. Le 16 mars, lors du 18e samedi de manifestation des « gilets jaunes », des centaines de militants de la gauche radicale et insurrectionnelle ont mis à sac des boutiques de luxe sur Champs-Elysées et ont caillassé les forces de l’ordre. Le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, a immédiatement pointé du doigt « les black blocs », des manifestants tous vêtus de noir de façon à rester anonymes.

Manifestations contre la loi Travail, 1er-Mai… Depuis quelques années, les cortèges voient régulièrement se former des black blocs, qui occasionnent à chaque fois d’importants dégâts. Que réclament-ils en s’attaquant aux banques et aux forces de l’ordre ? Qui sont ces militants d’ultragauche qui se cachent sous des masques ? Franceinfo lève le voile.

Bon, c’est quoi un black bloc ?

S’il suscite beaucoup de fantasmes, le terme « black bloc » ne désigne en réalité qu’une méthode de manifestation mise au point par des militants de la gauche radicale et insurrectionnelle. Pendant les défilés auxquels ils participent, ces individus – d’abord dispersés dans le cortège – se vêtent de noir, se masquent le visage, puis se réunissent pour créer « une sorte d’énorme drapeau noir, tissé d’êtres humains », explique le politologue Francis Dupuis-Déri, auteur d’un livre remarqué sur le sujet, Les Black blocs : la liberté et l’égalité se manifestent (Lux, 2019). « Ils forment ainsi un bloc compact permettant à chacun de préserver son anonymat. »

Il n’y a pas un seul black bloc, mais des black blocs, qui se forment à un instant T dans des manifestations puis qui se dissolvent avec elles.

Francis Dupuis-Déri, politologue

Les participants défilent alors derrière des banderoles aux slogans anticapitalistes ou anti-Etat. « Certains renforcent leurs banderoles avec des plaques de bois, ce qui nous permet de nous protéger des tirs de LBD et des coups de matraque », explique à franceinfo Isidore*, un militant anarcho-communiste de l’ouest de la France. Cette configuration permet aussi « d’éviter la fragmentation du bloc », indique une note du Centre de recherche de l’école des officiers de la gendarmerie nationale (CREOGN), ajoutant que, dans ce contexte, « l’interpellation d’un individu est rendue difficile voire impossible ».

D’où vient ce type de manifestation ?

Sortons les livres d’histoire. Ce type de manifestation est né en Allemagne, au tout début des années 1980. Le Mur est toujours debout et, à Berlin-Ouest, des militants autonomes ont investi des squats. Quand les autorités tentent d’évacuer ces lieux, certains occupants creusent des tranchées, volent des bulldozers pour dresser des barricades et n’hésitent pas à en découdre avec la police. Pour ne pas être identifiés, les squatteurs manifestent en groupe, vêtus de noir et le visage dissimulé par un masque. Lors des procès, les juges parlent de « Schwarzer Block », « black bloc » en allemand. 

Cette « tactique » se diffuse au sein du milieu anarcho-punk, via la musique et les fanzines. De petits black blocs apparaissent alors ponctuellement aux Etats-Unis et au Canada, jusqu’à un sommet de l’OMC à Seattle, en 1999. Les militants altermondialistes, qui tentent de bloquer le centre des congrès où se tient l’évènement, sont aspergés de gaz lacrymogène par la police. En réponse, un black bloc constitué de plusieurs centaines de manifestants affronte les forces de l’ordre et fracasse les vitrines des banques et des multinationales de la ville. Les images, spectaculaires, font le tour du monde. Les chaînes de télévision baptisent l’évènement « la bataille de Seattle » et évoquent des « saccages anarchistes ».

« Paradoxalement, c’est cette couverture médiatique inédite qui a participé à l’exportation du phénomène, explique Francis Dupuis-Déri. A chaque fois qu’il y a un sommet international, les militants anticapitalistes locaux décident d’imiter cette tactique. » Réunions du FMI à Prague ou à Washington en 2000sommet du G8 à Gênes en 2001… On retrouve des black blocs lors de tous ces événements.

Et en France, c’est arrivé quand ?

Un black bloc se forme à l’occasion d’un sommet de l’Union européenne à Nice, en 2000, mais la première mobilisation d’ampleur a lieu en 2009 à Strasbourg, en marge d’un sommet de l’Otan. D’après les chiffres de la préfecture, 2 000 manifestants attaquent un ancien poste de douane, l’office du tourisme et des distributeurs de billets.

Un manifestant contre le sommet de l’Otan, devant une barricade en flammes à Strasbourg, le 4 avril 2009. (AXEL SCHMIDT / AFP)

Logiquement, on retrouve ces formations dans les ZAD, notamment à Notre-Dame-des-Landes ou lors de la mobilisation contre le barrage de Sivens, au cours de laquelle Rémi Fraisse a été tué par une grenade lancée par les gendarmes. Les black blocs prennent une ampleur inédite en 2016, pendant les manifestations contre la loi Travail« C’est lors de ce mouvement qu’est apparu ce qu’on appelle maintenant le ‘cortège de tête' », explique Francis Dupuis-Déri.

Contrairement aux autres mobilisations, où les black blocs se constituaient habituellement au milieu des manifestations derrière les cortèges plus traditionnels de syndicats, ils ont réussi à s’imposer au premier rang. C’est une vraie particularité française qui donne au black bloc une grande visibilité.

Francis Dupuis-Déri, politologue

Depuis, des black blocs se forment régulièrement lors de manifestations. Cela a été le cas le 1er mai 2018 ou le 16 mars dernier, quand « gilets jaunes » et black blocs ont attaqué de nombreuses enseignes des Champs-Elysées, dont le célèbre restaurant Fouquet’s. Des événements qui ont causé le limogeage du préfet de police de Paris, Michel Delpuech. 

Mais pourquoi ils cassent tout ?

Manifestations des « gilets jaunes », mobilisations d’agriculteurs, blocages de lycées… En France, il n’est pas rare que les mouvements sociaux occasionnent de la « casse ». Mais les participants aux black blocs ont la particularité de revendiquer la violence et de la placer au centre de leur action. « Ils se mettent en scène et essaient d’adopter l’image que les médias et les autorités donnent d’eux : celle de l’ennemi public numéro 1, analyse Francis Dupuis-Déri. Avec le black bloc, la cible est le message. » 

« On s’en prend à ce que l’on considère comme des outils de l’oppression capitaliste : les banques, les assurances, les panneaux de publicité, les enseignes de multinationales », nous énumère Isidore*. « Nous attaquons des emblèmes, des entités matérielles et non des individus (…) Ces actions replacent l’humain comme valeur fondamentale face aux objets tant adulés par le capitalisme », peut-on lire sur un texte de revendication retrouvé sur le McDonald’s saccagé lors du 1er-Mai. 

« La tradition, chez les participants au black bloc, c’est ‘on attaque le matériel, on ne fait pas de victimes' », explique Sylvain Boulouque, historien spécialiste de l’anarchisme. Pourtant, deux épisodes récents semblent déroger à cette règle : les vitres brisées de l’hôpital Necker pour enfants pendant les manifestations contre la loi Travail à Paris et l’incendie d’une banque située dans un immeuble d’habitation, le 16 mars dernier, toujours à Paris. « C’est quelque chose que l’on ne voyait pas avant, remarque l’historien. Peut-être le fait de jeunes manifestants encore peu aguerris aux pratiques du black bloc. Cela montre en tout cas que le mouvement n’est pas uniforme. » 

Ce ne sont pas tous des anarchistes ?

Ce n’est pas aussi simple, d’après les spécialistes. « On retrouve dans le black bloc toutes les composantes de la gauche révolutionnaire anticapitaliste », décrypte Sylvain Boulouque, citant pêle-mêle « des anarchistes, des marxistes révolutionnaires, des écologistes radicaux ou des autonomes ». 

Ce dernier terme renvoie à un courant d’ultragauche prônant la lutte, parfois violente, pour vivre en autonomie vis-à-vis de l’Etat et de l’économie capitaliste. Par extension, l’expression « mouvance anarcho-autonome » est utilisée par les autorités – de façon souvent imprécise, comme le souligne L’Humanité – pour qualifier toute cette galaxie d’ultragauche, des zadistes de Notre-Dame-des-Landes au  « groupe de Tarnac » en passant par les participants aux black blocs.  

« On retrouve aussi des féministes et des militants queer radicaux dans le black bloc, ajoute Francis Dupuis-Déri. On pense souvent le black bloc en termes masculins, mais il regroupe de plus en plus de femmes, ce qu’on ne remarque pas forcément à cause des vêtements noirs. » 

Quel est le profil des manifestants du black bloc ?

C’est la grande question. Interrogé sur ce point, Isidore répond du tac au tac : « Les médias sont obsédés par l’idée de dresser un profil sociologique type des participants aux black blocs. La réalité, c’est qu’on retrouve sous les cagoules tous ceux qui subissent ou constatent la violence étatique : des prolétaires, des étudiants, des intellectuels, des personnes racisées des quartiers populaires, des femmes… » Une mystique de la révolte anonyme et populaire que l’on retrouve régulièrement dans les publications liées aux black blocs. Ainsi, un communiqué de militants italiens affirmait : « Voulez-vous voir les visages sous les foulards, les casques, les cagoules ? Ce sont les mêmes qui vous versent un loyer pour des logements décrépits. »

Ce sont les visages qui préparent votre cappuccino, ce sont les visages de celles et ceux dont le sang est drainé par la précarité, dont la vie est de la merde, et qui n’en peuvent plus.

Un communiqué de militants italiens

Cette description tranche avec les profils que l’on retrouve à la barre, lorsque des procès de black blocs sont médiatisés. Comme le note le chercheur Olivier Cahn, ces personnes sont souvent très éduquées et exercent des professions intellectuelles supérieures. C’était notamment le cas après le 1er-Mai où un homme de 29 ans, diplômé de la prestigieuse Ecole centrale et occupant un emploi de consultant rémunéré 4 200 euros par mois, figurait sur le banc des prévenus

Faut-il, pour autant, faire de ces cas une généralité ? « Quand ils parviennent à interroger des black blocs, les journalistes ont logiquement tendance à tendre le micro à des personnes qui leur ressemblent sociologiquement. C’est la même chose pour moi qui suis chercheur. C’est une loupe déformante à laquelle il faut être attentif », alerte Francis Dupuis-Déri. Même mise en garde du côté de Sylvain Boulouque : « Il est faux de dire que le black bloc est uniquement constitué de fils de profs. Quand on observe les cortèges à Paris, on se rend compte que les profils sont assez bigarrés. » 

Qu’est-ce qu’ils font dans les manifestations de « gilets jaunes » ?

Historiquement, on retrouve régulièrement des black blocs dans les mouvements sociaux dont les revendications correspondent aux combats de la gauche radicale. « Les black blocs ont investi les contre-sommets internationaux orchestrés par les organisations altermondialistes, auxquelles ils ne s’identifient pourtant pas. Mais ils venaient parce qu’ils partageaient avec elles une colère et des intérêts. C’est sans doute la même chose avec les ‘gilets jaunes' », analyse Francis Dupuis-Déri. 

« C’est assez logique qu’ils participent à un mouvement populaire comme celui des ‘gilets jaunes' », estime de son côté Sylvain Boulouque, rappelant que le même processus a été observé lors des manifestations contre la loi Travail.

Le discours du black bloc, c’est de dire que les manifestations traditionnelles n’apportent rien puisqu’elles ne font pas fléchir le pouvoir. On est exactement dans cette configuration avec les « gilets jaunes ».

Sylvain Boulouque, historien

Mais je croyais que les « gilets jaunes » rejetaient toutes les organisations politiques…

C’est en effet le mot d’ordre depuis le début du mouvement, le 17 novembre dernier. « Mais le black bloc n’est pas une organisation politique, rappelle Sylvain Boulouque. Ses participants rejettent d’ailleurs toutes les structures partisanes, c’est un point commun qu’ils ont avec les ‘gilets jaunes’. »

Les rapports entre les « gilets jaunes » et les militants du black bloc ont d’abord été compliqués, les premiers accusant les deuxièmes d’être responsables des violences survenues lors des premiers samedis de manifestation et de donner une mauvaise image du mouvement. Aujourd’hui, la situation semble s’être inversée : en observant les débats sur les groupes Facebook des « gilets jaunes », on constate une sympathie grandissante des manifestants à l’adresse du black bloc. « Au début, j’étais contre, mais au bout d’un moment, à force de voir des ‘jaunes’ pacifistes mutilés par les forces de l’ordre, j’ai compris que c’était eux qui avaient raison », estime Nicolas, un « gilet jaune » originaire de l’Oise. 

Ce rapprochement a atteint un sommet le 16 mars, quand des « gilets jaunes » et des militants du black bloc se sont retrouvés côte à côte sur les Champs-Elysées dans une brutale démonstration de force commune. Christophe Castaner a d’ailleurs dénoncé une « immense complaisance » des « gilets jaunes » vis-à-vis des « 1 500 black blocs » présents dans le cortège.

J’ai eu la flemme de tout lire, vous me faites un résumé ?

Le black bloc n’est pas un courant politique mais une manière de manifester. En France, on a pu observer des black blocs pendant des manifestations de « gilets jaunes » à Paris, Bordeaux, Toulouse ou Nantes, donnant lieu à des scènes de guérilla urbaine. Chaque fois, une multitude de militants issus de la gauche radicale et insurrectionnelle, vêtus de noir pour rester anonymes, se réunissent derrière des banderoles aux slogans anticapitalistes et anti-Etat. Une tactique née en Allemagne dans les années 1980 et utilisée pour affronter la police, considérée comme le bras armé d’un Etat autoritaire, et détruire les vitrines des banques et les panneaux publicitaires, symboles à leurs yeux de l’oppression capitaliste.

Ces violences ont atteint un niveau inédit lors du 18e samedi de mobilisation des « gilets jaunes », le 16 mars, avec l’incendie d’une banque et du Fouquet’s. Sur les réseaux sociaux, certains appellent à de nouveaux épisodes insurrectionnels, notamment le 1er-Mai. De quoi inquiéter le gouvernement, qui a fustigé « l’immense complaisance » des « gilets jaunes » vis-à-vis des black blocs. 

Kocila Makdeche, Franceinfo, 19 avril 2019

Photo: Des manifestants cagoulés à Paris, sur les Champs-Elysées, le 16 mars 2019. (KARINE PIERRE / HANS LUCAS / AFP)

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