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14 novembre 2018

Comment nommer la manière dont les GAFA agissent avec nous ?

SCREENSHOT #31. Réponse dans “Capitalisme de plateforme – L’hégémonie de l’économie numérique”, de Nick Srnicek.

Le livre de Nick Srnicek, qui enseigne l’économie numérique au King’s College de Londres, a un premier avantage : il décrit l’économie des plateformes (par là il entend Google, Facebook, Apple, Microsoft, Uber, etc.) de manière vive, brève et problématisée. C’est déjà très rare, tant l’objet est complexe. Il arrive à déceler une logique commune à ces entreprises, logique qui aboutira selon lui à une uniformisation de leurs modèles et une fragmentation en plusieurs monopoles.

Le second intérêt du livre est de réinscrire ce qu’on appelle parfois la «nouvelle économie» dans une histoire plus longue, celle du capitalisme. Pour lui, l’économie numérique n’apparaît pas sui generis, mais marque plutôt un transfert des logiques du capitalisme classique dans un modèle qui – c’est là la nouveauté – a vocation à s’insérer dans tous les secteurs de l’économie.

Un dernier intérêt est aussi, dans une visée plus militante, d’en appeler à la création de «plateformes publiques» pour contrebalancer le pouvoir grandissant de ces gigantesques entreprises privées qui sont dans la nécessité, pour ne pas s’écrouler, de s’approcher au plus près de nous.

Car, la logique commune de ces entreprises, c’est la donnée. Que ce soit pour mieux nous vendre des produits ou des services (Amazon), pour mieux nous transporter (Uber), ou pour mieux nous vendre de la publicité (Facebook et Google), elles ont besoin de mieux nous connaître. Pour arriver à son but, chacune a sa propre stratégie. Ainsi, si Google investit une fortune dans un système de chauffage résidentiel, c’est pour mieux savoir comment nous vivons.

Mais dès lors, comment qualifier cette ruée vers les données ? Nick Srnicek donne une réponse.

L’analogie avec la colonisation est, je trouve, assez forte. En plus de ceux que fait l’auteur (comme dans un processus de colonisation, c’est le premier arrivé qui récolte le trésor), d’autres rapprochements sont possibles :

  • Il s’agit de la captation d’une ressource produite par d’autres (car ces données, ce sont les internautes qui les produisent, en naviguant, en postant des photos, en écrivant des messages etc.) = s’approprier les ressources d’un pays colonisé.
  • La ruée sur les données a comme discours de justification de nous apporter le savoir et le bien-être (ce qu’elle fait parfois, il faut bien le reconnaître), mais son vrai moteur est la quête de profit = faire croire qu’on colonise un pays pour y fabriquer des routes, apporter l’eau courante et construire des écoles.
  • Ces entreprises considèrent comme rétrogrades et inadaptés au monde nouveau ceux qui leur résistent (y compris les états qui tentent de légiférer). Elles sont l’avenir = l’Etat colon est la modernité, tout ce qui lui résiste est d’un autre âge.
  • Il y a une forte compétition entre elles, tant l’enjeu est important = devenir un empire colonial, ça se gagne.

On pourrait sans doute faire d’autres parallèles entre colonisation et captation des données, mais il y a une différence majeure : dans l’économie numérique, il n’y a pas de racisme et pas mort d’homme (tout au moins pas directement), et ça rend donc la lutte encore plus dure à mener. D’où l’intérêt de ce type de livres.

Xavier de La Porte, BiblioObs, 14 novembre 2018

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