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25 octobre 2018

Note de lecture: «La stratégie de l’émotion», d’Anne-Cécile Robert

Les émotions gouvernent elles le monde ? Anne-Cécile Robert n’est pas loin de l’affirmer, quand elle passe en revue leur poids dans la vie publique, dans le discours politique, dans la réponse aux drames qui affectent la collectivité. Et bien sûr dans les médias.

Nul ne dira que le journaliste ne cherche pas émouvoir son public. Attaquer un papier par un cas concret qui illustre la question qui va être développée et analysée est une pratique traditionnelle : c’est un moyen de toucher le lecteur, de provoquer son intérêt par des faits qui l’émeuvent, et de lui donner son envie de lire la suite. Une photo d’actualité est souvent une image qui suscite la colère, la compassion, l’effroi, ou la joie, et dit efficacement une partie de la réalité. Mais l’accroche d’un reportage ou la photo choc ne sont qu’une faible part du travail de journaliste. Et se limiter à jouer sur les émotions, les mettre en scène, en faire un spectacle n’est pas faire du bon journalisme.

Anne-Cécile Robert constate une évolution dangereuse : « une priorité émotionnelle » gouverne le traitement de l’information, et notamment celui des faits divers. On ne la suivra pas quand elle affirme qu’il n’est « pas besoin d’avoir suivi des études de journalisme pour raconter un faits divers » , comme si ceux-ci étaient hors du champ des bonnes pratiques de la recherche d’informations, des techniques rédactionnelles, des règles déontologiques enseignées dans ces écoles. Mais elle voit juste quand elle dénonce une politique de l’information binaire, qui identifie « le bon » et « le mauvais », la victime et le coupable, qui « opte instinctivement pour ce qui apparaît le plus simple, c’est -à-dire le soutien à la partie la plus faible« . Elle pointe avec raison les errements de l’information en continu, qui faute d’avoir d’avoir toujours quelque chose de pertinent à dire et pour meubler l’antenne,  se nourrit ad nauseam d’émotions . Le phénomène est amplifié par les réseaux sociaux, qui incitent aux réactions irréfléchies, là encore sur un mode binaire ( « j’aime »,  » j’aime pas » ), et où l’anonymat autoriser l’expression des pires sentiments. Ces dérives, il faut le souligner, ne sont pas cantonnées à la couverture des faits divers.

Anne-Cécile Robert estime que ce recours général à l’émotion n’est pas fortuit, et est lourd de conséquences, car dit-elle « plus on rentre dans la réalité par l’émotion, plus on se dépossède des moyens de la décrypter« . Elle analyse les différents vecteurs de de cette stratégie de l’émotion. Le processus conduit selon elle à une société qui « préfère pleurer qu’agir » qui « désapprend collectivement à réfléchir et perd ainsi une à une ses défenses immunitaires contre la manipulation, l’invraisemblable, la bêtise ».

Médias et journalistes ont leur part de responsabilité dans ce tableau. Mais ils ont aussi leur rôle à jouer pour empêcher ce que l’auteure appelle « la dictature des affects« . Puisse ce petit livre dérangeant les inciter à le tenir encore davantage.

Pierre Ganz, Observatoire de la déontologie de l’information, 25 octobre 2018

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