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1 février 2017

La mentalité américaine – Bibliothèque Fahrenheit 451

Aux États-Unis, on grandit en apprenant que les américains font tous partie d’une belle et grande famille, alors que dès le départ, ce fut un pays de riches et de pauvres, de propriétaires terriens et de fermiers, de maîtres et d’esclaves. De tous temps rébellions, soulèvements, émeutes de la faim dans les villes y ont fait rage.

Comme l’armée de George Washington éprouvait des difficultés de recrutement, les jeunes du Sud s’engageaient sous la contrainte des fusils. Des mutinés par milliers furent exécutés pour l’exemple par leurs propres camarades. Démobilisés après la révolutions, ils croulèrent ensuite sous les taxes instaurées par les riches dominant les assemblées législatives des États, sur les terres qu’on leur avaient octroyées en récompense. En 1786 et 1787, ils se sont insurgés contre les saisis de leurs fermes. Cette révolte de Shays fut écrasée mais les pères fondateurs veillèrent, en rédigeant la Constitution, à mettre en place un État fort, apte à réprimer les rébellions des pauvres et des esclaves.

La plupart du temps, le gouvernement ne défend pas le bien commun mais les intérêts de l’élite fortunée. Cependant, dans les années 1930 et 1960, des mouvements de protestation ont pu le contraindre à agir en faveur des défavorisés et des démunis.

Les États-Unis entretiennent également le mythe de l’exceptionnalisme, idée selon laquelle ils seraient uniques, différents, supérieurs, incarnant la liberté et la démocratie et voués à les apporter au reste du monde. Cet argument, depuis toujours, a été utilisé pour justifier l’expansion territoriale. La « marche vers l’Ouest », l’achat de la Louisiane laissent entendre que ces territoires étaient vides et dissimilent la violence envers les tribus autochtones qui y vivaient. La « cession mexicaine » comme plus tard la libération de Cuba, des Philippines (600 000 morts !) et jusqu’à l’Irak, masquent des guerres sanglantes.

Le patriotisme américain est entretenu pour empêcher toute critique du gouvernement, notamment en temps de guerre, systématiquement assimilée à une attitude anti-patriotique. Pourtant, la Déclaration d’indépendance affirme que les gouvernements sont établis par le peuple et existent en vue de l’accomplissement de certaines fins, dont le droit pour tous à la vie, à la liberté et à la recherche du bonheur. Elle stipule que « Toutes les fois qu’une forme de gouvernement devient destructive de ce but, le peuple a le droit de la changer, de l’abolir et d’établir un nouveau gouvernement. »

Pour amener la population à soutenir les guerres, est également entretenue l’idée que la force militaire serait le seul moyen de mener à bien un projet, par exemple la lutte contre le terrorisme. Celui-ci n’est-il justement pas engendré par le bellicisme des États-Unis qui indigne des millions de personnes dont quelques-unes adoptent le fanatisme ? La commission d’enquête sur les attentats du 11 septembre affirme noir sur blanc dans son rapport que le ressentiment contre la politique étrangère américaine au Moyen-Orient est l’une des causes fondamentale des actions d’Al-Quaïda. Howard Zinn conclu que lutter contre le terrorisme par la guerre c’est lutter contre le terrorisme par le terrorisme et qu’il faut renoncer à l’idée de guerre légitime, de guerre juste. Les dirigeants ne pourront plus mener de guerre lorsque suffisamment de gens manifesteront leur désaccord. Ils ne le pourront sans notre obéissance et notre consentement.

Barack Obama, par exemple, ne peut mener de politique intérieure audacieuse tant qu’il persiste à mener une politique étrangère militariste. Le budget militaire draine 600 milliards de dollars.

Il faut cesser de croire en l’avènement d’un chef pour que changent les choses. Ce ne sont jamais les présidents, le Congrès ou la Cour suprême qui ont amélioré la société mais plutôt l’action des gens ordinaires, comme les militants anti-esclavagistes. Lincoln n’aurait jamais signé la Proclamation d’émancipation sans la pression d’un vaste mouvement. La journée de huit heures ne serait encore qu’une utopie si les travailleurs n’avaient pas fait grève, non sans remous. Pour mettre fin à la ségrégation, les Noirs ont dû descendre dans les rues par centaines de milliers, enfreindre des lois, commettre des actes de désobéissance civile, aller en prison, se faire battre, voire se faire tuer.

L’élection d’Obama crée des attentes qui devront être satisfaites. Howard Zinn pense que les circonstances sont favorables à l’émergence d’un nouveau mouvement social. Il propose que les États-Unis cessent d’être une superpuissance militaire et deviennent une superpuissance humanitaire.

Dans un second texte, il expose les distinctions entre loi et justice.

La désobéissance civile est une infraction délibérée à des fins sociales et non pour son bénéfice personnel. C’est un refus d’obéir à la loi de manière absolue.

Il y a consensus pour considérer que l’ordre et la loi sont indissociables et que toute agitation conduit au désordre sinon au chaos. Howard Zinn rétorque que l’obéissance aveugle à des lois ne respectant pas la justice est certainement plus menaçante que des manifestations qui ont pour résultats une saine reconfiguration de l’ordre social en vue d’une amélioration de la justice (par exemple, la fin de la ségrégation). L’époque moderne a instauré la primauté du droit sur l’arbitraire d’un individu. Impersonnel, neutre, consigné par écrit, il semblait devenir égalitaire et démocratique alors que fondamentalement l’inégalité du partage de la richesse et du pouvoir demeurait, renforcé par en vertu de l’autorité de la loi. Les plus grandes fortunes ont été amassées en toute légalité, soutenues par les lois relatives aux contrats et à la propriété, sanctionnées par des juges bienveillants, prises en charges par des avocats d’entreprise astucieux, calculés par des comptables grassement payés. La Constitution a d’ailleurs été conçue par des hommes riches, marchands et esclavagistes pour la plupart, qui avait besoin d’un minimum de démocratie politique et certainement pas de démocratie économique. Cette professionnalisation de la justice, séparée de la politique, sert donc essentiellement à masquer toute finalité idéologique.

Depuis Socrate, s’impose l’obligation d’obéir à la décision de l’État. Pourtant la désobéissance au gouvernement qui contrevient aux principes de justice et de démocratie est certainement plus légitime que l’adoration servile et la sujétion aveugle.

En cas de condamnation, accepter un emprisonnement peut avoir l’effet d’une déclaration publique mais refuser un châtiment injuste est un refus d’allégeance à des lois injustes.

La désobéissance civile ne constitue pas une rupture avec la démocratie. Elle est absolument essentielle car permet de franchir les barrières érigées par la tradition et les préjugés. Il s’agit d’une saine et nécessaire perturbation. L’histoire montre que les pires atrocités (guerres, génocides, esclavages) résultent de l’obéissance.

Howard Zinn évoque notamment la guerre du Vietnam, rappelant qu’un demi-million d’hommes a résisté à la conscription, dont 200 000 ont fait l’objet d’accusation et 3 000 ont pris la fuite. Seuls 8 750 ont été condamnés pour insoumission.

Les juges parlent rarement du droit pour les jurés de rendre un verdict selon sa conscience plutôt que selon les strictes exigences de la loi.

Howard Zinn appuie son analyse sur l’histoire de son pays pour définir la mentalité américaine. Pertinent et iconoclaste, il permet ainsi de faire comprendre les politiques des différents gouvernements et les réactions du peuple américain. Afin de susciter des mobilisations, il défend l’usage de la désobéissance civile en développant une argumentation particulièrement précise et congrue. Cette lecture est judicieusement complémentaire de celle de LA DÉSOBÉISSANCE CIVILE. de Thoreau.

Bibliothèque Fahrenheit 451, 1er février 2017

Lisez l’original ici.

 

 

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