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27 mars 2018

Le peuple rieur: une lettre d’amour signée Serge Bouchard

La lecture du livre Le peuple rieur, c’est un peu comme s’asseoir autour du feu avec Serge Bouchard. Pendant ces quelques 300 pages, sa grosse voix réconfortante nous berce et nous amène sur les terres innues, le Nitassinan. Au fil du récit, la forêt boréale enveloppe autant celui  qui écoute que celui qui raconte. Et peu à peu, l’intimité des bois fait son effet : Bouchard nous livre ses expériences de vie sur le ton de celui qui se confie à un ami.

Bouchard nous raconte l’humour innu

Ce livre parle d’une histoire d’amour : celle entre Serge Bouchard et ses amis rieurs de la Côte-Nord. D’ailleurs, il écrit cet ouvrage avec sa compagne, Marie-Christine Lévesque. Leur couple partage cet amour commun, qu’ils traduisent par un livre dédié aux Innus. Avec cet essai à la fois historique, personnel et anthropologique, Bouchard revisite ses souvenirs et souhaite redonner à ce peuple auprès duquel il a tant appris.

Et pour ce qui est de redonner, il le fait de différentes façons. Mais la plus significative, selon moi, est de répandre la vision que le peuple innu est rieur. C’est un discours que l’on entend peu dans les médias, et c’est pourquoi Serge Bouchard corrige le tir : c’est un élément essentiel de cette culture ! Portés par leur fort intérêt pour la culture innue, Bouchard et Lévesque écrivent un livre à milles lieues des stéréotypes. Et il y a quelque chose de beau et d’absolument réjouissant d’entendre parler d’une nation autochtone de cette façon.

Bouchard nous raconte Mingan

C’est dans ses débuts d’anthropologue que Serge Bouchard débarque à Mingan. Il sera reçu chez un couple innu, Michel et Adèle, qui veillera sur lui et le guidera tout au long de son passage dans ces terres. Comme un enfant innu à qui l’on transmet les savoirs ancestraux, Serge Bouchard intégrera des connaissances autochtones en imitant ses hôtes. Au cœur de cette cohabitation, il y aura des silences. Mais c’est à travers ces moments de calme qu’ils apprendront à s’aimer, ne parlant pas la même langue, mais se sentant bien ensemble.

Cette quiétude sera d’ailleurs intermittente : le rire occupera une place toute spéciale dans le quotidien de Mingan. C’est donc par ses maladresses et ses incompréhensions que Bouchard saisira l’un des aspects cruciaux pour être accepté et vivre dans la communauté : l’autodérision. Il adhérera à son surnom donné par les Innus, « le barbu », tout comme il se permettra de rire de lui-même lorsqu’il échappera son porte-feuille dans la rivière.

Même si Le peuple rieur aborde plutôt un ton sérieux dans l’ensemble, il est parsemé de blagues innues et d’anecdotes qui agrémentent la lecture et viennent s’allier au vécu de Serge Bouchard. À mon avis, le propos du livre aurait toutefois bénéficié d’une présence plus accrue de ces incursions humoristiques.

Bouchard nous raconte l’Histoire des Innus

Pour faire un pied de nez aux effacements historiques subis par les Innus, l’auteur relate leur Histoire avec moult détails. Il fait ainsi ce que les gouvernements canadiens ont refusé de faire jusqu’à ce jour : retracer l’histoire de cette nation pour lui reconnaître ses droits ancestraux sur le territoire.

Au passage, Serge Bouchard critique l’utilisation des termes génériques tels qu’« autochtone » ou « Premières Nations » : il faut apprendre à nommer les nations par leurs noms et non par des mots qui sont vides de signification. Les noms sont magnifiques et portent le poids de la mémoire, alors pourquoi refuser de s’en servir?

En plus de l’importance des mots et des récits historiques, Bouchard nous apprend qu’il n’y a pas qu’une façon de voir les choses. À Mingan, il a appris que c’est un tout autre ordre du monde qui règne. Par exemple, on ne tue pas l’ours qui rôde autour d’une maison, car l’aîné l’a reconnu : c’est l’esprit de Mathias, villageois désormais décédé, qui vient visiter son ancienne demeure. En nous racontant ces bribes, on se sent vite habité par ces fragments de la vie innue. On comprend également que le point de vue autochtone a été brutalement écarté de l’ensemble de la société et de l’Histoire du pays telle qu’on la connaît. Ce livre se veut ainsi un acte de résistance, un acte d’amour.

Bouchard passe le flambeau

Autrefois, c’était lui, le jeune Serge Bouchard, qui a appris des aînés autochtones. Maintenant âgé de 70 ans, c’est à son tour de transmettre son vécu par l’entremise de ce livre. Et pas besoin d’avoir un bac en anthropologie pour apprécier son récit, il suffit d’être curieux. Car avant tout, c’est ce que Bouchard souhaite faire : intéresser les lecteurs au peuple innu. Par ses mots, il a également réussi à me donner le goût de Mingan, celui de visiter le territoire. Difficile de rester de glace devant ses descriptions amoureuses et dévouées de la forêt boréale.

Et pour la suite des choses, l’auteur est confiant :

Les Innus du futur seront ce qu’ils et elles voudront être, sans avoir à sacrifier leur culture, mais en la valorisant plutôt, en l’affirmant, en l’exprimant sur la scène internationale. (p. 290)

Bouchard se tourne ainsi vers l’avenir, souhaitant avoir créé dans son sillage des futurs lecteurs/anthropologues/historiens qui se pencheront sur la culture innue et écouteront les récits futurs. Car, à la suite d’An Antane Kapesh qui publiait Je suis une maudite sauvagesse / Eukuan nin matshimanitu innu-iskueu en 1976 et qui lançait un cri de résistance innu, ce sont désormais les Naomi Fontaine et Natasha Kanapé Fontaine qui portent cette voix. Et à travers leurs œuvres, c’est la fierté d’être autochtone, la fierté d’être Innue, qui peut jaillir.

Connaissez-vous la culture innue? Avez-vous lu des écrivains et écrivaines de cette nation? 

, Le Fil rouge, 27 mars 2018

Lisez l’original ici.

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