Lire les vedettes, qu’ossa donne?
Après avoir infiltré Walmart (Walmart, journal d’un associé), Hugo Meunier, ex-journaliste de La Presse devenu directeur des contenus numériques chez Québecor, prêche par l’exemple en s’infiltrant lui-même afin d’analyser l’engouement pour les biographies de vedettes qui envahissent les librairies. Infiltrer Hugo Meunier – Enquête sur la vie des vedettes québécoises est un essai hilarant sur un phénomène d’édition pas toujours très noble, mais aussi un constat de notre fascination pour le « vécu » des gens plus ou moins célèbres.
Pourquoi t’intéresser aux biographies de vedettes ?
Je suis allé au Salon du livre pour mon essai Walmart, journal d’un associé et j’ai vu qu’il y avait une grosse rentrée de livres de vedettes, toutes alignées les unes à côté des autres sur des affiches dans un couloir. J’ai eu cette idée de faire une fausse autobiographie, et je trouvais intéressant de jouer sur le fait que je ne suis pas connu du tout. Les vedettes qui font ces livres ne sont pas nécessairement des gens qui ont de grandes réalisations dans leur vie. Il me semble qu’avant, il fallait avoir accompli quelque chose, mais c’est le contraire qui se passe.
Mon éditeur était sceptique au début, mais je voulais jouer ça un peu comme un manuel d’emploi de l’autobiographie, à partir des modèles de ces livres. Je voulais le rendre le plus plate possible, parce que j’aurais pu me ploguer et me péter les bretelles, mais j’ai voulu rendre ça soporifique. Ce sont vraiment des livres plates et j’ai voulu jouer dans leur ligue. Car il y en a qui se la jouent un peu, c’est souvent mal raconté et il n’y a pas toujours quelque chose à raconter, contrairement, par exemple, à Nathalie Simard, qui a eu un impact majeur sur les victimes d’agressions avec son livre.
Je pense que oui. Et ça donne une visibilité médiatique. Tu fais les salons, tu deviens un peu une PME ambulante. Le livre, c’était peut-être le dernier endroit qui n’avait pas été envahi par les vedettes. Ce n’est plus le cas. C’est devenu une autre façon de faire parler d’elles. Beaucoup de ces auteurs-là vont ensuite être conférenciers. L’édition a des questions à se poser. On oublie que c’est aussi un business qui veut faire de l’argent.
Dans ton livre, tu as interrogé quelques personnalités qui ont commis des autobiographies, comme Marie-Claude Savard ou Maxim Martin, ce qui est un peu baveux. Comment ça s’est passé ?
Je me disais que c’était honnête d’aller confronter quelques auteurs. C’est un réflexe journalistique. J’étais terrorisé à l’idée de les rencontrer ; j’ai patiné un peu. Il y a eu des moments de malaise. Mais je voulais ça plus transparent, sans personnaliser l’affaire. Je ne trouve pas qu’ils sont morons de faire ça, c’est plus l’idée derrière tout ça qui m’intéresse. Il y a beaucoup de monde en dessous, le lecteur, l’éditeur, etc. Marie-Claude Savard s’est avérée mon être humain préféré. Elle était très lucide par rapport à ça. Elle se sent même coupable d’avoir lancé le bal…
Il y a un gars qui s’appelle Marc Cassivi dans mon livre qui explique que les gens aiment que les vedettes soient comme eux. C’est pour ça qu’elles nous racontent des banalités. Moi, j’aimerais qu’on me raconte la vraie vie de vedette ! Une ghostwriter me disait que le gros problème, c’est que si on a la réputation de lire beaucoup ici, on lit beaucoup de merde, et que l’intérêt de la lecture commence à l’école, mais que beaucoup de gens lâchent l’école. Je suis convaincu que si on donnait plus de qualité, les gens apprécieraient, car certains de ces livres sont un peu méprisants pour les lecteurs quand ils sont faits juste pour l’argent. Le lecteur n’en sort pas gagnant.
Ça, c’est mon wet dream. Je ne veux pas vendre ce livre à quatre ou cinq amis qui vont trouver ça drôle. J’aimerais sensibiliser ces lecteurs-là. C’est une satire de ces livres-là. Je pense que tout le monde pourrait faire sa biographie et qu’elle pourrait être plus intéressante que celle d’une vedette. Je m’adresse à tous ces gens qui ont des histoires plus le fun. C’est un peu une revanche, sans être un livre polémiste. J’ai peur que les gens pensent « il est en train de rire de moi », car je ne veux pas avoir l’air condescendant. Je ne ris pas du monde qui achète ces livres, je ris de ces livres que je trouve vraiment ennuyants.
Que mon plan machiavélique a fonctionné [insérez un rire démoniaque]. Mais ça n’arrivera pas. Les gens vont trouver la blague drôle et je vais retomber dans un anonymat relatif. Je suis quelqu’un de lucide. Au moins, j’aurai fait rire des lecteurs, ce que je n’ai pas fait en lisant des autobiographies. Je trouve juste que les gens connus devraient être reconnaissants de l’être, car on a beaucoup de vedettes qui n’ont rien à dire et qui ne se mouillent pas sur grand-chose, alors qu’elles ont une tribune. Si tu l’utilises pour dire des niaiseries… Fais une différence ! Nos vedettes sont molles, on ne les entend jamais sur des enjeux. Le producteur Didier Morissonneau m’a ouvert les yeux quand il m’a dit que les vedettes sont tellement habituées à se faire flatter dans le sens du poil qu’elles en arrivent peut-être à croire que tout ce qu’elles racontent intéresse la planète.
Parce que le pastel vend bien avec ce type de livre ! Si tu veux rendre une personne positive, le pastel est recommandé. Je voulais au début le chapeau Fedora de Lise Dion, mais je me suis inspiré du livre Terrain d’entente de Justin Trudeau.
Extrait
La personnalité publique, par définition, entretient toujours sa notoriété, qui est son fonds de commerce, en misant autant sur la banalité et la trivialité de son existence que sur la fascination que ne manquent pas d’exercer sa fortune et sa gloire. Pour être populaire, il faut plaire au plus grand nombre, maîtriser l’art difficile de se distinguer en se fondant dans la masse. Tout se passe comme si l’idéal de la célébrité était le parvenu. Voilà pourquoi Céline travaille fort pour te faire croire qu’elle flippe des burgers sur son BBQ en étant chaussée de Crocs, à tel point que tu oublies que tu as moins de chance d’aller à son mariage qu’un chameau.
Chantal Guy, La Presse+, 17 septembre 2017
Photo: Ivanoh Demers
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