Étouffer la dissidence
Le titre du livre Étouffer la dissidence. Vingt-cinq ans de répression politique au Québec de la Commission populaire sur la répression politique (CPRP) explique bien son objet, qui est de révéler «les effets pernicieux de la répression que subissent les activistes et les mouvements sociaux, mais aussi l’ensemble de la population, que l’on gave d’une opinion prétendument publique hostile à toute forme de contestation».
Préambule : Ce n’est pas d’hier que la violence policière se manifeste au Québec. Cela a été déploré à de nombreuses reprises par des instances internationales. Mais, cette tendance s’est accentuée au cours des récentes années, notamment lors de la grève étudiante de 2012. L’objectif de la CPRP est de «documenter la répression policière exercée au Québec et de sensibiliser divers publics à la question». Même si d’autres instances, dont le gouvernement, ont tenu des audiences sur les événements entourant la grève de 2012, de nombreuses personnes et groupes les ont boycottées en raison de la limitation des mandats des commissaires qui tenaient ces audiences. En conséquence, le CPRP a décidé de tenir sa propre commission sur la répression politique et d’étendre la durée des événements étudiés au début des années 1990.
1. Documenter et comprendre la répression politique: une approche populaire : Le CPRP a donc tenu des audiences à Gatineau, Montréal, Québec et Sherbrooke de septembre 2013 à janvier 2014. Elle a aussi entendu à huis clos des personnes (11) qui préféraient rester anonymes et reçu des témoignages par écrit (18). En tout, le CPRP a reçu 94 témoignages, 67 provenant d’individus et 27 de groupes. Même si cet échantillon ne peut se prétendre exhaustif (il ne contient par exemple aucun témoignage de communautés arabo-musulmanes), les témoignages retenus peuvent servir à la mobilisation, à la lutte et à la protection contre la répression politique.
Pour le CPRP, la répression politique consiste en toute «action étatique ou privée destinée à prévenir, contrôler ou contraindre l’action collective non institutionnelle, y compris son initiation». Elle peut aussi bien provenir de politiciens, des forces policières et du système juridique que des médias, des employeurs ou d’autres personnes ou organismes.
2. Une longue histoire: la répression de 1990 à 2015 : Le choix de 1990 repose sur le durcissement de l’encadrement des manifestations par les forces policières (voir à ce sujet ce billet portant sur le livre Mater la meute de Lesley J. Wood) à cette époque. Comme le titre de ce chapitre l’indique, le CPRP y retrace les principaux événements de répression politique de 1990 à 2015. Si les anarchistes, les anticapitalistes et les personnes qui luttent contre la brutalité policière furent des cibles de prédilection, ce fut aussi le cas des mouvements étudiant, environnementaliste, autochtone et même, ce qui est plus récent, syndical.
3. La répression policière : Le CPRP décrit dans ce chapitre cinq formes de répression policière : la surveillance (y compris l’espionnage), l’infiltration, les arrestations, les détentions et les fouilles, et la brutalité. Ce chapitre est vraiment très intéressant.
4. La répression privée sur le campus : On a assisté au durcissement de la répression dans le milieu scolaire dès les années 1990 à tous les niveaux, du secondaire aux universités, tant par les forces policières que par les administrations, un peu partout au Québec, le tout culminant au cours de la grève étudiante de 2012. Ce durcissement de la répression s’est notamment manifesté par l’augmentation de la présence d’agents de sécurité provenant d’agences privées, et cela, dans un contexte d’austérité et de compressions budgétaires.
5. La répression judiciaire : La répression judiciaire se manifeste aussi bien par l’adoption de lois et de règlements niant le droit de manifester que par les peines et les conditions imposés par les juges. Cela dit, comme la très grande majorité des accusations sont abandonnées devant la Cour, il est clair que l’adoption de ces lois et règlements ne visent au fond qu’à empêcher les citoyens d’exercer leur droit de manifester, à intimider les groupes contestataires et à décourager les manifestations et les actions revendicatrices. Le CPRP ajoute que les personnes qui voient les accusations maintenues peuvent se retrouver dans des situations précaires : fortes sommes à payer, défense de poursuivre leurs études et, parfois même, fortes difficultés à trouver et à conserver un emploi. Certaines de ces personnes peuvent aussi subir un état de détresse psychologique important.
6. La répression par les discours publics : Le discours des politiciens, trop souvent appuyé par les médias, laisse penser que les gouvernements et les forces policières ont raison de réprimer les actions des groupes revendicateurs. Cette connivence concourt à convaincre une grande partie de la population qu’il est légitime de s’attaquer aux droits démocratiques des manifestants. Le CPRP donne de nombreux exemples où les médias ne font que reproduire les communiqués de la police sans aucune vérification.
7. Le profilage politique : Ce type de profilage peut aussi bien viser des groupes précis (surtout étudiants, environnementaux et anticapitalistes) que des personnes précises. Dans ce dernier cas, on assiste à un harcèlement concerté de nombreux policiers. Il est clair pour les personnes interrogées que ces tactiques visent à décourager ces personnes de militer, d’exercer leurs droits démocratiques. Même si intéressant, ce chapitre est un peu répétitif.
Conclusion : On l’a vu, l’objectif premier de la répression politique est de démobiliser les personnes qui militent, de «dé-démocratiser» la société. Le CPRP ajoute que, depuis la fin de ses travaux, la grande majorité des constats d’infraction ont été abandonnés et que les éléments les plus contraignants des règlement adoptés en 2012 (comme l’obligation de remettre un itinéraire et l’interdiction de manifester avec un masque) ont été invalidés. De même, la Cour a reconnu le concept du profilage dans un cas. Au bout du compte, l’intimidation par la répression a été un échec, car la plupart des militant.e.s ne sont que davantage convaincu.e.s de la justesse des causes pour lesquelles ils et elles se battaient.
Et alors…
Lire ou ne pas lire? Ayant lu beaucoup de livres sur cette question (notamment À qui la rue ? Répression policière et mouvements sociaux, un recueil de textes sous la direction de Francis Dupuis-Déri qui participe aussi à ce livre), je craignais de m’ennuyer un peu en lisant celui-ci. Or ce ne fut pas le cas. Les textes sont pertinents et clairs, la structure du livre sans bavure (on passe d’un chapitre à l’autre de façon aisée) et son contenu se démarque suffisamment des autres que j’ai lus sur ce genre de sujet pour susciter mon intérêt. Alors, oui, je conseille la lecture de ce petit livre (152 pages, y compris les notes à la fin, principal défaut de ce livre).
Darwin, Jeanne Émard, 13 février 2017
Lisez l’original ici.