Macadam Tribu, samedi 14 avril 2007
Livre référence:
Politique de la passion
Norman Bethune: rebelle et pour cause
Si un jour vous prenez le métro à Montréal et que vous sortez à la station Guy-Concordia, vous y remarquerez sans doute un des plus grands rassemblement de pigeons en milieu urbain qui puisse être vu. Au milieu, s’élève une grande statue blanche rehaussée de fientes de pigeon, tendue vers le ciel dans un style qui rappelle un peu celui du réalisme soviétique. Ce monument de composite blanc, élevé à la mémoire du médecin Norman Bethune (1890–1939), est sans cesse souillé par les pigeons.
Or, la ville de Montréal a annoncé officiellement il y a quelques jours qu’elle allait complètement refaire l’aménagement de ce coin de rue dans les prochains mois, afin de mettre en valeur ce monument dédié à un homme qui demeure une des personnalités les plus connues à l’étranger.
Héros en Chine
En Chine, Normand Bethune est toujours considéré aujourd’hui comme un véritable héros populaire. À l’école, les enfants apprennent depuis 50 ans qui il est et quel fut le rôle déterminant qu’il joua, dans les armées de Mao, lors de la résistance chinoise à l’envahisseur japonais.
C’est d’ailleurs ce qu’est venu dire l’autre soir un délégué du gouvernement chinois à l’occasion de l’ouverture d’une petite exposition consacrée à Norman Bethune, qui est présentée ces jours-ci à la Fondation Aubin, dans l’édifice de la Bibliothèque Atwater, au 1200, avenue Atwater à Montréal.
Méconnu au Canada
Ici, on a pourtant bien du mal à se souvenir de lui. Au début des années 1970, alors que l’Amérique entière adoucissait ses relations avec la Chine, le gouvernement de Pierre Trudeau a permis la création d’un musée Bethune en Ontario, à Gravenhurst. Il y a, bien sûr, eu aussi un film à gros budget, mettant en vedette Donald Sutherland. On a publié en outre quelques livres, dont Docteur Bethune, une biographie signée par Sydney Gordon et Ted Allan, qui ont connu du succès. Et vient tout juste de paraître, pour la première fois en français, les oeuvres complètes de Norman Bethune, sous le titre de Politique de la passion. Mais force est d’admettre qu’un des personnages les plus fascinants de notre histoire demeure à peu près inconnu de la population.
Né à Gravenhurst en 1890, Norman Bethune a mené des études de médecine en Ontario, à Toronto. Frappé encore jeune par la tuberculose, ce sida du début du siècle dernier, il se montre vite sensible à la médecine liée aux maladies du poumon. Interné dans un centre pour tuberculeux, il prédit sa propre mort tout en continuant de peindre une grande fresque, de s’évader des gardes la nuit et de festoyer comme le bon vivant qu’il est… Contre toute attente, il réussit à s’en sortir en réclamant une intervention chirurgicale très risquée.
Sorti de son sanatorium, Normand Bethune se remarie avec la femme dont il vient de divorcer et se met à développer plusieurs instruments médicaux pour les opérations aux poumons. Il fait breveter ses inventions. Une compagnie américaine achète l’exploitation des brevets et le voilà, comme par magie, devenir indépendant de fortune!
De la médecine sociale
Ce médecin est un des premiers à réclamer chez nous l’exercice d’une médecine sociale. Il s’intéresse en particulier au sort fait aux Canadiens français, dont on a tendance aujourd’hui à oublier un peu trop facilement que, dans les années 1920 et 1930, leur situation a fait l’objet de comparaisons avec celle des plus démunis de la terre. On comparait même le niveau de vie des habitants des quartiers pauvres francophones à ceux de Calcuta, en Inde.
Normand Bethune a écrit un mémoire pour réclamer des autorités publiques des soins gratuits pour tous. Il a été un des premiers à défendre farouchement pareille position sur la place publique, à une époque où personne encore au Québec ne semblait avoir trop compris encore la nécessité des interventions publiques pour assurer le bien-être commun.
Chirurgien, Normand Bethune pratiquait la médecine d’une façon jugée « originale » par ses collègues. Dans ses temps libres, Normand Bethune organisait chez lui, à Montréal, des ateliers d’enseignement de la peinture pour les enfants, tout en se passionnant pour quelques femmes et la politique.
L’engagement
La montée du fascisme en Europe le consterne. Il suit avec attention les avancées d’Hitler et de Mussolini. Lorsque la guerre civile espagnole éclate, il sent que le sort du monde bascule et part combattre au plus vite.
Il s’est alors engagé depuis un moment du côté des communistes. Sans être dogmatique, il estime surtout que ce parti affirme la nécessité de résister au fascisme et à la pensée d’extrême-droite. En Espagne, Bethune organise pour la première fois sur un théâtre d’opérations militaires des unités de transfusions sanguines mobiles. Il opère tant qu’il peut, dans des conditions précaires. Mais sa vie de bohème apparaît un peu désordonnée à ses camarades des services sanitaires: il part à l’occasion, sans prévenir, festoyer à Paris pour se changer les idées…
Puis, Normand Bethune se sent appeler vers un nouveau théâtre politique. Il part en Chine. Mao tente alors d’organiser une résistance efficace à l’envahisseur Chinois. Les médecins manquent. Des milliers de soldats chinois sont blessés et meurent faute de soin. Normand Bethune entend faire de son mieux pour les aider. Il est nommé par Mao lui-même grand responsable des services médicaux des armées. Normand Bethune forme alors des assistants, donne des notions d’hygiène de santé, puis se retrouve aux premières lignes du front, où il opère dans des conditions très difficiles, avec un minimum d’instruments et de médicaments. Il opère sans relâche et avec détermination.
Lors d’une opération, il se blesse. La maladie s’empare de lui. Il sait qu’il est condamné, faute de médicament. Il sait qu’il n’en plus pour longtemps à vivre. Il a néanmoins encore la force d’écrire, encore et encore. On ignore, et c’est très malheureux, que Normand Bethune écrit beaucoup et très bien. Il nous a laissé des textes exceptionnels, tant sur la médecine que sur l’engagement social qui était le sien. Un de ses plus beaux textes, sans conteste, est celui où, installé en Chine, il décrit sa pratique de la médecine en temps de guerre. Normand Bethune y présente, sous formes de fragments très rapides, avec une évidente maîtrise de la plume, son travail, ses souffrances et ses préoccupations. C’est un des nombreux textes qu’a retrouvé le professeur Larry Hannant et qui ont été traduits dans Politique de la passion, ce livre qui rassemble tous les écrits de Bethune.
En attendant que la ville de Montréal éloigne les pigeons du monument Bethune que lui a offert la Chine il y a plusieurs années, on pourra toujours essayer de mieux le comprendre en le lisant.
Lien audio: http://www.radio-canada.ca/radio/emissions/document.asp?docnumero=35750&…
Jean-François Nadeau
Macadam Tribu, Radio-Canada Première chaîne, samedi 14 avril 2007