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24 janvier 2016

Le Devoir, Samedi 18 et dimanche 19 novembre 2006

Livre référence:
L’impérialisme humanitaire

Le silence des humanitaristes

Jean Bricmont explique que la notion d’une guerre « propre et courte » au service des droits de l’homme mène aux pires contradictions en ruinant les principes de l’éthique. La vertu ne semble pas connaître aujourd’hui de frontières idéologiques. Dénoncer les pays islamiques au nom des droits des femmes est une pratique répandue aussi bien à gauche qu’à droite. Dès 1770, Voltaire signalait que le clergé catholique, alors très sournois, ne se privait pas de blâmer l’attitude des musulmans à l’égard de ce que l’on appelait hier encore le sexe faible!

C’est Jean Bricmont, polémiste politique et physicien, qui, dans son essai L’Impérialisme humanitaire, cite le célèbre philosophe des Lumières. L’intellectuel belge révèle que la bonne conscience de l’Occident a des racines anciennes et inattendues.

Si, au nom du christianisme, des théologiens européens reprochaient jadis à l’islam de réduire les femmes en esclavage, on imagine avec quelle assurance des partisans de la doctrine laïque des droits de l’homme peuvent désormais imposer l’humanitarisme occidental au reste du monde. Les défenseurs contemporains de la démocratie vont jusqu’à préconiser la guerre préventive pour propager leur conception de la vertu dans les pays qu’ils jugent arriérés.

Bricmont explique que la notion d’une guerre « propre et courte » au service des droits de l’homme mène aux pires contradictions en ruinant les principes de l’éthique. « L’exemple de l’Irak montre, écrit-il, que l’on sait quand une guerre commence mais pas quand elle finit, et qu’il est totalement utopique de s’attendre à ce qu’une armée, qui est attaquée sans arrêt par une guérilla, ne recoure pas à la torture pour obtenir des renseignements. »

En démystifiant l’ingérence prétendument démocratique et humanitaire, Bricmont prouve qu’elle voile les préoccupations hégémoniques des puissances occidentales, surtout celles des États-Unis. Il est très convaincant lorsqu’il précise que les interventions militaires s’appuient sur des critères géopolitiques plutôt que sur des raisons morales.

Il signale que Washington n’a pas perçu comme une ingérence bénéfique le renversement au Cambodge du régime sanguinaire de Pol Pot par le Vietnam, un pays antiaméricain. Bricmont n’a pas tort. Pour la Maison- Blanche, la stratégie l’emportait sur l’humanitarisme. « J’ai encouragé les Chinois à soutenir Pol Pot », avouait Zbigniew Brzezinski, conseiller du président Carter.

Conscient que la notion de guerre préventive, corollaire de la doctrine fumeuse de l’intervention humanitaire, a séduit une partie de la gauche occidentale, Bricmont détruit de belles illusions. En effet, les interventionnistes qui prétendent que l’on aurait pu enrayer à temps la menace nazie pour empêcher l’Holocauste idéalisent l’histoire.

Ils oublient que l’attaque de Pearl Harbor par le Japon en 1941 est le modèle embarrassant d’une guerre préventive non orthodoxe devant lequel Washington reste coi. Prévenir inconsciemment et en vain la tragédie d’Hiroshima, cela ne semble pas émouvoir les héritiers de ceux qui, durant l’Holocauste, se sont contentés de garder le silence.

Michel Lapierre
Samedi 18 et dimanche 19 novembre 2006, Le Devoir

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