Presse-toi à gauche ! 11 septembre 2006
Livre référence:
L’impérialisme humanitaire
L’impérialisme humanitaire : un livre essentiel contre l’idéologie du droit d’ingérence
Jean Bricmont, professeur de physique théorique à l’Université de Louvain, publie un livre qui constitue un brillant travail de déconstruction de l’idéologie de l’impérialisme humaniste. C’est une contribution essentielle pour nous et elle peut nous aider à étoffer l’argumentation du mouvement pour le retrait des forces armées canadiennes d’Afghanistan.
Une des caractéristiques du discours dominant dans les pays occidentaux, soutient-il, est l’impératif d’ingérence humanitaire. Selon cette idéologie, les puissances occidentales seraient pleinement justifiées d’intervenir dans le tiers-monde et dans les affaires intérieures des autres États car leurs interventions viseraient essentiellement à défendre la démocratie et les droits de l’Homme. Ce discours cherche à travestir des interventions meurtrières en gestes démocratiques et généreux. Alors que la politique internationale des États-Unis ne démontre aucune préoccupation pour le développement des droits de l’Homme, la défense du droit d’ingérence au nom de motifs humanistes cherche à légitimer les interventions et des guerres préventives.
Ce discours est maintenant à la base de toutes les justifications des interventions impérialistes dans le tiers-monde. Il est devenu « le principal obstacle à la construction d’un mouvement effectif d’opposition aux guerres impériales ». Ce discours sert de couverture à la remise en cause radicale par les puissances occidentales du droit international. Un des piliers, justement, du droit international est qu’aucun pays n’a le droit d’envoyer des troupes dans d’autres pays sans le consentement de son gouvernement. « La prise de conscience de l’idée que le droit international doit être respecté et que les conflits entre États doivent pouvoir être contrôlés par une instance internationale est en soi un progrès majeur dans l’histoire humaine, comparable à l’abolition du pouvoir de la monarchie et de l’aristocratie, l’abolition de l’esclavage, le développement de la liberté d’expression, la reconnaissance des droits syndicaux et de celui des femmes, ou encore l’idée de sécurité sociale » (page 104). Et ce droit international est essentiel pour éviter un état de guerre généralisé ou la dictature d’un seul pays comme les États-Unis qui sont systématiquement opposés à tout progrès social dans les pays du tiers-monde.
Sa critique d’une gauche timorée face à la dénonciation de l’impérialisme est particulièrement importante. Il critique la théorie du Ni Ni qui prend prétexte de l’existence de gouvernements autoritaires dans le tiers-monde pour prendre une égale distance entre l’impérialisme et ces dictatures. Cette gauche établit une fausse symétrie qui conduit à une attitude conciliatrice avec son propre impérialisme. « Une réaction morale élémentaire, écrit-il, consisterait à s’opposer en premier lieu aux agressions dont nos gouvernements sont responsables ou, alors, à les approuver franchement, avant même de discuter de la responsabilité des autres » (page 134). Prendre une attitude d’opposition systématique aux interventions militaires de son pays n’est pas respectable pour les médias et intellectuels dominants, mais le mouvement anti-guerre ne pourra se construire que s’il mène un combat idéologique contre la propagande de guerre et les mystifications, entre autres humanitaires, sur lesquelles elle s’appuie. » (p. 135)
Il n’y a pas de conflit, soutient-il enfin, entre respect strict de la souveraineté nationale et la défense (non hypocrite) des droits de l’Homme. Les partisans du droit d’ingérence sont toujours prêts à justifier les interventions militaires au nom des droits de l’Homme, mais ils sont muets vis-à-vis des choix des grandes compagnies pharmaceutiques, du maintien des peuples dans l’endettement et ils sont sourds aux réalités vécues quotidiennement par les peuples du tiers-monde.
Le livre de Jean Bricmont est maintenant disponible en librairie. Il faut le lire, le discuter, car il constitue un instrument important pour renforcer notre résistance à des politiques effrayantes et mensongères mises en oeuvre en notre nom, selon l’expression de Normand Baillargeon qui en a écrit la préface.
Bernard Rioux
Presse-toi à gauche !, 11 septembre 2006