Hebdo Garneau, Vol. 29, no 2, août 2005
Livre référence:
Petit cours d’autodéfense intellectuelle
PETIT COURS D’AUTODÉFENSE INTELLECTUELLE
Le dernier livre de Normand Baillargeon, professeur à l’UQAM, part d’un constat que je pourrais résumer ainsi : si déficit il y a dans nos démocraties, il est d’esprit critique et de transparence avant d’être budgétaire. La bêtise et l’ignorance citoyennes fleurissent, ce qui fait évidemment l’affaire des démagogues et charlatans de tout poil. L’éducation et les médias, ces institutions qui devraient au premier chef éclairer la vie citoyenne, sont mal en point : l’une souffre, entre autres, de boulimie clientéliste et l’autre d’un sérieux embonpoint, gracieuseté du divertissement et de la convergence. Constat trop alarmiste? Au lecteur d’en juger. Selon ses propres dires, Baillargeon propose un modeste effort pour combler, autant que faire se peut, ce déficit démocratique en redonnant sens à la participation active du citoyen. Conçu comme un guide d’autodéfense intellectuelle, son livre tente d’élargir notre compréhension du monde et de réveiller notre citoyenneté de sa somnolence.
D’une lecture facile et aérée, l’ouvrage, en outre fort amusant, se divise en cinq chapitres. Le premier analyse les multiples pouvoirs du langage. L’étude de la définition, de la rhétorique et des sophismes permet à Baillargeon de montrer que le choix et l’usage de certains mots conduit en droite ligne à la manipulation et à la fourberie pour qui ne sait en détecter les artifices. Le clin d’oeil à 1984 de George Orwell (la fameuse «novlangue» qui permet de dire que l’esclavage est la liberté) est, à cet égard, tristement d’actualité. Le volumineux deuxième chapitre, savoureusement sous-titré «compter pour ne pas s’en laisser conter», attire notre attention sur les mathématiques citoyennes. Ennemis du cosinus, de la cosécante et du nouveau canal «Argent», rassurez-vous : l’auteur ne tombe pas dans l’exposé poussiéreux. Soucieux plutôt de faire fondre l’innumérisme (l’illettrisme appliqué aux nombres), il explique comment scruter à la loupe sondages, probabilités et statistiques afin d’en comprendre les enjeux cachés.
L’expérience personnelle, la science et les médias, ces domaines particuliers de la connaissance, résistent-ils aux outils de la pensé critique précédemment acquis? Baillargeon teste cette hypothèse dans la suite du livre. Ainsi, le recours à l’expérience personnelle pour justifier nos croyances ne tient pas souvent la route. Nos sens nous trompent, nos souvenirs ne correspondent pas toujours à ce qui s’est passé, notre jugement peut être altéré. De même, il faut se méfier des pseudo-sciences du type astrologie, homéopathie, Feng Shui, cartomancie et Cie qui ne résistent pas bien longtemps à un examen rigoureux. Sans parler de la vigilance à exercer vis-à-vis de la science pure et dure, souvent à la solde d’intérêts politico-financiers et qui contient aussi son lot de tricheurs. Enfin, au sujet des médias, Baillargeon propose une grille classique mais efficace pour s’y rapporter et demeurer vigilants : taille, appartenance, dépendance à la publicité et à certaines sources, etc. Il énumère de plus quelques sujets récemment occultés par les médias étasuniens et canadiens. Troublant.
Truffé de graphiques explicatifs, d’exercices de «déconditionnement», d’exemples délirants (les élucubrations du mentaliste Uri Geller au lendemain des attentats du 11 septembre ou la vente sur eBay 28 000$ d’un sandwich au fromage représentant la Vierge Marie…), d’illustrations forts rigolotes, s’inspirant aussi bien de Platon que de Chomsky, cet ouvrage est une ode à la rationalité et à la lucidité. Le déficit zéro en matière de citoyenneté est sans doute inatteignable mais Baillargeon en dessine les contours comme celui d’un idéal à atteindre. Pour peu qu’on veuille bien s’en donner la peine.
Christian Boissinot
Hebdo Garneau, Vol. 29, no 2, août 2005