La Tribune, 7 mars 2007
Livre référence:
Petit cours d’autodéfense intellectuelle
Détecteur de poutine
Voici ma prescription pour survivre à la campagne électorale : le Petit cours d’autodéfense intellectuelle de Normand Baillargeon. Et le détecteur de poutine qui vient avec.
Dans ce livre, Normand Baillargeon, professeur de philosophie à l’UQÀM et grand adepte de la pensée critique, traduit par détecteur de poutine le baloney detection kit de l’astronome américain Carl Sagan.
Vous l’aurez deviné : il est question ici d’un détecteur de déjections bovines. Et depuis le début de ma lecture, je m’amuse ! Mais je m’amuse ! À soumettre au détecteur de poutine les déclarations, réactions et autres dérapages électoraux.
Par exemple le syllogisme d’Aristote, disparu de mon radar depuis Philosophie 101. Vous savez, cette méthode de raisonnement avec les deux prémisses, si et seulement si…
Tous les hommes sont mortels.
Socrate est un homme
Donc Socrate est mortel.
Le professeur nous avait-il montré comment appliquer cette méthode au quotidien ? Peut-être que je m’en foutais à l’époque. Dommage. Je me suis privé d’un grand plaisir : répliquer aux poutineurs non pas en répondant à leurs arguments, mais en déglinguant leur raisonnement comme un meuble IKEA.
Par exemple, cet incident de la semaine dernière.
Le chef du Parti québécois est gai.
Le candidat péquiste dans Jonquière est gai.
Donc, le Parti québécois est un club de gais.
Ce raisonnement bancal, l’animateur de radio Louis Champagne l’a pourtant prêté aux électeurs de Jonquière. Autrement dit, à Jonquière, un plus un, ça peut donner mille. Cela heurte non seulement la logique, mais aussi les mathématiques… en plus de l’intelligence des électeurs.
Voilà pour l’analyse complexe, mais Baillargeon suggère une voie plus simple: Louis Champagne a commis un des paralogismes (faux raisonnement) les plus fréquents, la généralisation hâtive. À ce sujet, il cite l’auteure française Christiane Collange: « Le sexisme, comme le racisme, commence par la généralisation, c’est-à-dire la bêtise. »
La tentation était forte, dans l’affaire Champagne, de répliquer en attaquant la personne au lieu du raisonnement. Ça soulage, mais l’argumentum ad hominem, rappelle Baillargeon, est aussi un paralogisme, parce qu’en disqualifiant l’auteur, on ne réfute pas l’argumentaire.
La beauté du détecteur de poutine, c’est qu’il est garanti à vie. Il peut même résister à un débat des chefs…
Steve Bergeron,
La Tribune, 7 mars 2007