journalistiques.fr, 16 mars 2008
Livre référence:
Petit cours d’autodéfense intellectuelle
Vaccinations contre l’intox
Il n’existe pas de logiciel d’aide au discernement. Tant mieux dans la mesure où cette lacune oblige le(s) cerveau(x) à élaborer une méthode susceptible de prémunir les journalistes contre la bêtise, l’irrationalisme, la fourberie mentale, la propagande, la manipulation.
Le Petit cours d’autodéfense intellectuelle, de Normand Baillargeon peut constituer l’un des piliers d’une méthode de discernement. D’abord, parce que ce livre tonique prône le recul réflexif, la pensée critique et l’autodéfense intellectuelle.
Ce devoir de vigilance pose un sérieux problème au journaliste de l’ère électronique, ère qui se caractérise par la profusion et l’instantanéité. Le journaliste doit prendre le temps de construire et d’étayer sa pensée critique et il doit, en outre, intégrer en permanence les éléments nécessaires à un vrai « recul réflexif » ; d’où l’idée d’un wiki ou/et d’une application d’aide au discernement journalistique.
Ensuite, parce que ce livre énumère les outils du scepticisme nécessaire au journalisme. Par exemple, le kit de détection des dérapages perceptifs et conceptuels mis au point par l’astronome Carl Sagan.
Enfin, parce que même s’il est idéologiquement orienté, le travail de Normand Baillargeon est intellectuellement honnête.
Ce travail commence par un inventaire des pièges du langage. Les plus redoutables pour les journalistes sont les moins évidents. Les euphémismes, par exemple, servent « à masquer ou à minorer des idées désagréables » en les affublant de mots aux connotations moins négatives.
Un tableau énumère,dans la colonne de gauche, les vocables les plus proches de la réalité d’un conflit armé et,dans la colonne de droite, leurs euphémismes les plus fréquemment utilisés pour induire les journalistes et leurs audiences en erreur. Sont disséqués de la même manière les « vertus » de l’imprécision, des généralisations hâtives et les fausses analogies, le jargon des pseudo-experts, les distorsions cachées dans les argumentations trop logiques.
Un autre chapitre, salutaire, est consacré au « terrorisme mathématique » qui utilise le prestige de la science et le fétichisme des chiffres—notamment en économie—pour embrouiller les journalistes et tromper l’opinion. Avant même les grossières erreurs d’interprétation facilitées par la méconnaissance des lois de la statistique, les exemples de falsifications pullulent dans les affirmations des entreprises et des politiciens. Cette intoxication permanente se répand grâce à la presse parce que les journalistes n’ont pas acquis le réflexe de se poser systématiquement quatre questions quand ils ont des données chiffrées à traiter : qui produit ces données ? dans quel but ? selon quelle méthode ? avec quelles définitions ?
Une blague résume ces manipulations banalisées : un comptable est embauché par une grande entreprise parce qu’à la question « Combien font deux et deux ? », il a su répondre : « Combien voulez-vous que ça fasse ? »
Il est devenu évident, par exemple, que les sondages fonctionnent comme des instruments de manipulation parce que les journalistes politiques, passablement paresseux, ne savent ni comment ils sont faits, ni comment les analyser. Ce qui permet aux sondeurs d’orienter l’attention des journalistes dans des directions précises et de téléguider assez facilement l’agenda médiatique. C’est à dire les informations que les audiences recevront.
La seconde partie englobe les croyances, la science et les médias. Là encore, le journalisme est directement concerné avec, notamment, l’altération des témoignages par la mésinformation. C’est d’abord « le caractère construit des souvenirs et l’influence que les attentes, désirs et croyances peuvent avoir sur eux ». C’est ensuite la possibilité de donner de l’information aux témoins sans qu’ils s’en aperçoivent. Les dissonances cognitives, les prophéties autoréalisatrices, les méfaits de la soumission à l’autorité et au conformisme sont autant de perversions qui menacent le métier d’informer. D’où le puissant remède proposé : la critique des médias formule trente recommandations pour renforcer et entretenir la vigilance citoyenne.
Les mots et leurs pièges cachés, les chiffres et leurs illusions, les croyances déguisées en raisonnements, le fonctionnement des médias : quatre angles possibles pour construire une méthode de discernement à l’usage des journalistes.
Alain Joannes
www.journalistiques.fr, 16 mars 2008