Le Devoir, 3 et 4 octobre 2009
Livre référence:
La mentalité américaine
Howard Zinn et l’Amérique d’un seul
Le principal adversaire de Barack Obama serait, selon Howard Zinn, la mentalité américaine elle-même. L’historien, né à New York en 1922, considère le premier président noir des États-Unis, figure progressiste pourtant impensable il y a 30 ans, comme le prisonnier d’un système, ce temple que seule la dissidence pourrait ébranler.
Voilà le sujet de La mentalité américaine, au-delà de Barack Obama, recueil de trois textes de Zinn, traduits en français pour la première fois. L’historien y signale que des mesures urgentes, comme la mise sur pied d’un régime public d’assurance maladie ou d’un programme de création d’emplois, coûtent énormément d’argent.
« Si le gouvernement n’en a pas assez, remarque Zinn, c’est parce que le budget militaire draine à lui seul 600 milliards de dollars. » Il touche là le fond du problème américain.
Présentée comme l’expression même du patriotisme, la politique étrangère l’emporte, aux États-Unis, sur la politique intérieure. Telle est la thèse de Zinn. Un peu simpliste à première vue, elle devient de plus en plus solide à mesure que l’historien rappelle que les relations avec l’extérieur se sont traduites, depuis deux siècles, par un expansionnisme qui stimule la fierté nationale, voire le chauvinisme.
La puissance de leur pays aveugle tellement les citoyens moyens qu’ils acceptent, souvent après coup et sans trop de discussion, les visées planétaires de la Maison-Blanche au détriment de leurs intérêts matériels immédiats. La conquête de l’Ouest, faite contre les Amérindiens, et l’annexion violente d’immenses territoires mexicains sont devenues une épopée, source d’une tradition conservatrice et populaire qu’Obama ne peut contrecarrer, même au nom du progrès social.
Tendance au consensus
Comme le souligne Zinn, il existe une fâcheuse tendance au consensus qui, dans l’opinion, mine tout espoir de résistance démocratique dès qu’il s’agit de questions de portée internationale. Si bien que même le Congrès n’intervient pas vraiment et donne au chef de l’État un « assentiment obséquieux ». Cette situation, l’historien la juge d’une manière aussi brutale que convaincante : « Lorsqu’on en vient à prendre la décision de faire la guerre, un régime monarchique ne serait pas différent d’un gouvernement représentatif. »
Pour remédier au conformisme de la mentalité américaine, Zinn appelle de ses vœux une reprise de la contestation des années 60 pour ouvrir la voie aux réformes qu’Obama, laissé à lui-même, resterait incapable de réaliser. Son souhait si candide, il le situe dans la ligne de l’essai Sur la désobéissance civile (1849), de Henry David Thoreau.
« Tout homme qui a raison contre les autres constitue déjà une majorité d’une voix. » Cette phrase surprenante et magnifique de Thoreau confirme la pensée de Zinn. Elle est à l’origine de la très haute conception d’une démocratie sans cesse renaissante, idée qui devrait résumer l’espoir américain.
Michel Lapierre
Le Devoir, 3 et 4 octobre 2009