Impact Campus, 22 septembre 2009
Livre référence:
Robert Rumilly
L’ombre à droite de Duplessis
Entrevue avec Jean-François Nadeau
À travers l’écriture fluide du journaliste, on suit à la trace la création du personnage de Robert Rumilly. D’une famille élitiste très « vieille France », originaire des colonies, Robert Rumilly est éduqué dans les valeurs de supériorité de la civilisation sur les Sauvages, de patriotisme exacerbé et de militarisme certain. Rumilly, jeune, rentre dans les rangs du parti fascisant Action Française après le traumatisme de la Grande Guerre. C’est auprès du leader, de cette formation d’extrême-droite, Charles Maurras, que Rumilly prend rôle d’intellectuel idéologue. L’idéal du parti est la patrie, un gouvernement autoritaire, débarrassé des parasites et des problèmes posés par les « libéraux », en commençant par la démocratie. Peu après le déclin du mouvement, Rumilly prend la direction du Québec, « où il espère retrouver une France des origines, une France traditionnelle et intacte. » aux dires de M. Nadeau. Il espère ainsi trouver son idéal de société et son « roi », qui s’avèrera être Maurice Duplessis.
Un personnage méconnu
Robert Rumilly est toujours mal connu au Québec où son imposant réseau de relations faisait de lui une véritable éminence grise dans le un contexte du Québec d’avant la Révolution Tranquille. Jamais au premier plan, ce sera dans l’effort intellectuel et dans son travail de structuration de la droite qu’il sera marquant. Il fut donc un pôle d’influence considérable pour tout un pan de la droite québécoise du siècle dernier. Plus encore, son travail intellectuel acharné, comprenant entre autres une Histoire du Québec en plus de 41 tomes, a su ancrer et crédibiliser ses idées réactionnaires. Son œuvre, malgré son manque de profondeur et ses faiblesses inhérentes, est néanmoins toujours une référence pour comprendre l’Histoire du Québec. Comme l’auteur le souligne, « le sujet permet d’expliquer tout une vision du XXe siècle, de sa folie. »
La mémoire d’un mirage
« Finalement, il s’agit d’une France qui n’a en fait jamais existé », lance M.Nadeau. « C’est une France illusoire, du XIXe, qui n’aurait pas vécu la révolution », ajoute-t-il. Tout l’élan patriotique de Rumilly a été lié à cette image de la nation. Il retrouvait donc ici, surimposé au régime duplessiste, une société des origines, quelque part pure, et qu’il voudrait conserver. Cette image est d’autant plus importante pour lui qu’elle est la clef de voûte qui lie son système de pensée. « Robert Rumily est un personnage très cohérent. Il l’est d’ailleurs toujours resté », ajoute M. Nadeau au sujet du fait que Rumilly ait hébergé et aidé plusieurs ex-Waffen SS au sortir de la Seconde Guerre mondiale. « Toute son œuvre est un acte de cohérence (…) Pour lui, les criminels avaient fait ce qu’ils devaient faire, c’est tout », mentionne-t-il.
Les principaux intérêts du livre résident non seulement dans le sujet, portant sur une figure très mal connue du public, mais également dans la compréhension des méandres idéologiques de la droite franche. Le lecteur attentif pourra aussi retracer comment circulent les idées et les influences à travers l’opacité des rouages de l’époque duplessiste.
Paul-Émile Auger
Impact Campus, 22 septembre 2009